(Montréal) La consommation de certains additifs alimentaires utilisés pour améliorer la texture des produits et prolonger leur durée de conservation serait associée à un risque accru de cancers, prévient une étude publiée par des chercheurs français de premier plan.

Regroupés au sein de l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle, les chercheurs de l’Inserm, d’INRAE, de l’Université Sorbonne Paris Nord, d’Université Paris Cité et du Cnam « ont entrepris d’étudier les possibles liens entre les apports alimentaires en additifs émulsifiants et la survenue des cancers », précise un communiqué publié par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.

« Ils ont utilisé des données vraiment intéressantes pour répondre à une question qui est sur toutes les lèvres en ce moment-là, c’est-à-dire l’impact des aliments ultratransformés sur la santé », a commenté le chercheur Benoît Lamarche, qui est professeur à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation et directeur du Centre NUTRISS de l’Université Laval.

Les émulsifiants sont souvent ajoutés à des aliments comme les pâtisseries, les gâteaux, les desserts, la crème glacée, les barres de chocolat, les pains, les margarines et les plats préparés afin d’améliorer leur apparence, leur goût, leur texture et leur durée de conservation.

Les chercheurs français ont analysé les habitudes alimentaires et les données de santé de quelque 92 000 adultes participant à l’étude de cohorte française NutriNet-Santé, en évaluant spécifiquement leur consommation de ce type d’additifs alimentaires.

Après un suivi moyen de sept ans, les chercheurs ont constaté que les plus grands consommateurs de monoglycérides et diglycérides d’acides gras augmentaient de 15 % leur risque général de cancer par rapport aux plus faibles consommateurs, de 24 % leur risque de cancer du sein et de 46 % leur risque de cancer de la prostate.

D’autre part, les femmes ayant les apports plus élevés en carraghénanes avaient 32 % de plus de risque de développer des cancers du sein, par rapport au groupe ayant des apports plus faibles.

Les aliments ultratransformés peuvent représenter jusqu’à la moitié de ce que la population mange chaque jour, a rappelé le professeur Lamarche.

« C’est beaucoup, c’est la majeure partie de nos calories, a-t-il dit. Donc on se demande ce que ça peut avoir comme effets indésirables sur la santé. »

Les scientifiques tentent toujours de déterminer si les risques pour la santé des aliments ultratransformés proviennent du processus de transformation lui-même (et donc, de l’ajout d’additifs) ; s’ils découlent plutôt du contenu nutritionnel de ces aliments souvent riches en gras saturés, en sucre et en sel ; ou s’il s’agit d’une combinaison des deux, a précisé le professeur Lamarche.

L’originalité de l’étude française, poursuit-il, provient justement du fait que ses auteurs ont isolé « pour la première fois […] la composante transformation » de ces aliments et examiné un éventuel lien avec le cancer.

« Ça suggère qu’une surconsommation de certains agents qui sont utilisés dans les aliments transformés n’est pas souhaitable, et que ça doit être considéré dans nos futures réglementations et dans nos futurs guides alimentaires », a dit le professeur Lamarche.

Puisqu’il s’agit d’une étude observationnelle, il n’est pas possible d’établir de lien de causalité direct entre la consommation d’émulsifiants et une hausse du risque de cancer. Les auteurs soulignent toutefois que leurs résultats tiennent compte de facteurs comme l’âge, le sexe, le poids, le niveau d’éducation, les antécédents familiaux, le tabagisme, l’alcool et les niveaux d’activité physique, ainsi que la qualité nutritionnelle globale de l’alimentation.

Le professeur Lamarche abonde dans le même sens en soulignant qu’il est difficile de déterminer quel impact sur la santé est attribuable aux émulsifiants et quel impact est attribuable aux autres variables nutritionnelles. Une pâtisserie, par exemple, contiendra des émulsifiants, mais aussi beaucoup de sucre et de gras, rappelle-t-il.

« Et puis des études cliniques, avec des doses assez élevées d’agents de conservation, d’émulsifiants, ont montré que ça pouvait perturber le microbiote (intestinal), a-t-il ajouté. Ma question c’est, est-ce que le risque de cancer augmente à cause des changements dans le microbiote ? (Les chercheurs français) ne sont pas capables de répondre à ça, mais c’est une hypothèse qui est testée en ce moment dans plusieurs recherches à travers le monde. »

Modération et prudence sont donc de mise lors de la consommation d’aliments ultratransformés, mais il faut pour le moment éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain, a dit le professeur Lamarche.

« Prenons l’exemple d’un muffin que j’achète et qui a un contenu nutritionnel souhaitable, a-t-il expliqué. C’est un aliment ultratransformé, mais est-ce qu’il va être délétère pour la santé ? On n’a pas encore la réponse pour le moment. »

Il est évident, dit-il, que les aliments ultratransformés riches en sucre, en sel et en gras, avec une longue liste d’ingrédients, ne sont pas bons pour la santé. Mais il est tout aussi évident que les gens ne commenceront pas à cuisiner eux-mêmes tous leurs repas avec des ingrédients frais demain matin.

« Dans la réalité ce n’est pas si simple, a dit M. Lamarche. Donc il faut voir s’il y a une manière de reformuler les aliments ultratransformés pour qu’ils ne soient pas aussi mauvais pour la santé. »

Le chercheur se penchera lui-même sur cette question au cours des prochaines années. Il admet d’emblée qu’il pourrait être un peu « épeurant » d’éventuellement conclure que certains aliments ultratransformés « ne sont pas si pires que ça pour la santé ».

« Ça viendrait un peu ébranler les colonnes du temple, a-t-il dit. Mais c’est ce qu’on observe en nutrition depuis cinquante ans. Avec les gras on a fini par se rendre compte qu’il y en a des moins pires et des pas pires et des très pires. On a fait la même chose avec les glucides, les fibres, le sucre… On ne peut pas tout mettre dans une seule catégorie et il faut amener des nuances. »

Les conclusions de cette étude ont été publiées par le journal PLoS Medicine.