Les statistiques sur la violence dans le couple chez les adolescentes sont rares au Québec. Mais des intervenantes sur le terrain observent une hausse et réclament plus de sensibilisation.

« Ça a énormément augmenté, surtout avec les réseaux sociaux et tout ce qui est internet », remarque Valérie Désaulniers, intervenante jeunesse à la maison La Passe-R-Elle, une ressource pour femmes victimes de violence conjugale à Mont-Laurier. Elle voit particulièrement des cas de cyberviolence, de violence sexuelle et de violence psychologique en ligne. Les victimes sont surtout des filles, mais il y a aussi des garçons.

Mélanie Carreira Valente, jusqu’à récemment intervenante jeunesse à la maison L’Esther, à Laval, note la même tendance. De même pour la procureure de la Couronne Christine Lambert, qui pratique au tribunal de la jeunesse du district de Gatineau. « La violence, ce n’est pas seulement quand on est ensemble physiquement. Ça se transpose beaucoup avec les téléphones qu’ils ont dans les mains en permanence. » Selon MLambert, il est difficile de déterminer si l’augmentation qu’elle observe est due à une hausse du nombre de cas ou si les dénonciations sont en proportion plus nombreuses.

Menaces et contrôle

Valérie Désaulniers et Mélanie Carreira Valente donnent des formations dans les écoles secondaires et interviennent auprès d’adolescentes qui subissent de la violence dans leur couple. Malgré leur expérience, elles restent ébranlées par ce qu’elles entendent.

Il y a eu cette fille que le copain a maintenue de force dans son lit pendant un jeu qui n’en était plus un. Quand elle a voulu le quitter, il s’est fiancé à elle. Puis il est allé dire aux parents de sa victime : « Vous ne l’aurez jamais, elle est à moi. »

Il y a eu cette jeune qui, après s’être fait couper les cheveux, s’est fait dire par son chum qu’elle était « dégeulasse » et « qu’il ne coucherait plus avec elle ». Tout ça « à un âge où ils se découvrent, où ils essaient de se faire des styles », dit Mme Désaulniers.

Il y a eu ces gars, nombreux, qui ont menacé leurs blondes de publier leurs nudes, des photos sexuellement explicites, partout sur les réseaux sociaux si elles rompaient.

Il y a eu cette adolescente dont le chum exigeait qu’elle l’appelle en vidéo plusieurs fois par jour pour montrer où et avec qui elle était et qui demandait qu’elle identifie toutes les voix qu’il entendait. Elle obtempérait « pour ne pas avoir de trouble ».

Les cas de menaces et de contrôle sur les réseaux sociaux ou avec le téléphone sont devenus si courants que ceux qui en sont victimes ne s’en rendent parfois même pas compte.

Amour ou jalousie ?

Dans les écoles, Mélanie Carreira Valente demande aux élèves si la jalousie est une forme d’amour. Parce que la jalousie, dit-elle, est le « nerf de la guerre » dans les situations de violence chez les jeunes.

« Beaucoup vont me répondre oui, gars comme filles. »

Elle leur parle ensuite de la géolocalisation. « Est-ce que c’est normal de géolocaliser ta blonde ou ton chum ? »

Elle se souvient encore de la réponse complètement transparente d’un adolescent. Si sa copine n’accepte pas d’être géolocalisée, « c’est sûr qu’elle est en train de préparer quelque chose ».

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Mélanie Carreira Valente, ancienne intervenante jeunesse à la maison L’Esther

Leur façon de raisonner est choquante. Ils partent du principe : “Si tu n’as rien à cacher, montre-moi où tu es.” On est dans quelque chose d’absolument malsain, mais qui est dur à défaire.

Mélanie Carreira Valente, ancienne intervenante jeunesse à la maison L’Esther

Valérie Désaulniers voit la surprise sur le visage des adolescents lorsqu’elle leur dit que ce n’est pas normal d’exiger de son chum ou sa blonde une conversation sur l’application FaceTime à chaque sortie « pour être sûr que tu es avec tes amies » ou « pour voir où tu es ».

« Ils sont naïfs un peu, ils ne s’en rendent pas compte que c’est du contrôle, que l’autre ne leur fait pas confiance. »

Les visites en classe des intervenantes entraînent des prises de conscience parfois très émotives.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale

« Après, on a plein de jeunes filles qui nous écrivent, qui nous appellent, qui veulent des rendez-vous. Des jeunes filles qui se reconnaissent, qui lèvent la main. On a même des garçons qui ont dit : “Le gars dans votre histoire, c’était moi. Je ne l’avais pas réalisé” », raconte Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. « Je n’ai pas de chiffres, mais je peux dire que quand on va dans les écoles, il y a des maisons qui mettent leur agenda vide pour le prochain mois parce qu’elles savent qu’elles vont avoir plein de rendez-vous. »

Les maisons d’hébergement offrent gratuitement leurs ateliers dans les écoles. Plusieurs établissements scolaires refusent de libérer une plage horaire pour ça, déplore Mme Brazeau. « Il y a des écoles qui nous disent qu’elles n’ont pas le temps. Il y a des écoles où un professeur est motivé, mais on ne peut pas aller dans la classe des autres. »

Peu de chiffres

Au Québec, les statistiques sur la violence dans le couple chez les adolescentes sont rares et datées. Valérie Désaulniers y voit d’ailleurs le signe que « les gouvernements ne sont pas encore centrés sur cette problématique ».

Les plus récentes études publiées font état de chiffres compilés au milieu des années 2010. « Selon les données qu’on a, la moitié des jeunes vivent, à un moment ou un autre de leur vie, des violences en contexte de relations intimes », résume la chercheuse et professeure de l’UQAM Mylène Fernet, qui cosigne un chapitre sur la violence dans les relations amoureuses chez les jeunes dans le dernier rapport sur la violence et la santé de l’Institut national de santé publique du Québec.

Croit-elle que ces chiffres ont augmenté depuis les dernières enquêtes ? Difficile à dire. « Les enjeux sont différents avec l’arrivée des médias sociaux. Ça se transpose sur les plateformes numériques. Peut-être aussi que traditionnellement, on avait tendance à plus regarder les violences physiques. Maintenant, on tient davantage compte des coercitions psychologiques et des coercitions dans la vie sexuelle. Ça peut donner l’impression que le problème est plus grand. Mais je pense que la bonne nouvelle, c’est qu’on en parle plus, qu’il y a plus de dévoilement et de signalements. »

Une première relation déterminante

Les adolescents, disent nos expertes, sont particulièrement vulnérables à la violence dans le couple.

D’abord, explique Valérie Désaulniers, ils n’ont pas de point de comparaison.

Quand les jeunes, les filles entre autres, rencontrent leur premier chum, ça devient le centre de l’univers. Si le moindrement ce gars-là est violent, avec l’emprise qu’il a sur elle, ça devient vraiment intense. Parce qu’elle n’a rien pour comparer. C’est sa première relation amoureuse. Elle ne sait pas ce qui est sain et ce qui n’est pas sain.

Valérie Désaulniers, intervenante jeunesse à la maison La Passe-R-Elle

Ensuite, dit Annick Brazeau, leur vision est largement influencée par ce qu’ils voient en ligne. « Les jeunes grandissent avec ce que les médias sociaux, ce que toutes nos émissions de télé, ce que toutes les plateformes leur montrent de ce qu’est une relation amoureuse, ce que les sites internet souvent influencés par la pornographie montrent. Des exemples, les jeunes n’en ont plus. Ils se réfèrent à ce qu’ils voient, et ce qu’ils voient, ce n’est pas égalitaire et ce n’est pas sain tout le temps. »

C’est d’autant plus inquiétant que les adolescents qui sont victimes de violence en couple risquent de l’être à nouveau. « Dès que tu as vécu une relation intime violente à l’adolescence, il y a plus de risques que tu subisses à nouveau, [tant à l’adolescence qu’à l’âge adulte], des violences en contexte de relation amoureuse […], dit Mylène Fernet. D’où l’importance de travailler en prévention. »

La solution ? Éduquer, répondent d’emblée toutes nos intervenantes. « Il faut éduquer nos jeunes, tout le monde, la société sur ce qu’est une relation saine ou malsaine », résume Annick Brazeau.

En savoir plus
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    Nombre de crimes à caractère conjugal signalés à la police par les victimes de 15 à 17 ans pour l’année 2021 au Québec. Ce chiffre est largement sous-estimé, prévient l’étude. « Un nombre important de crimes ne sont jamais signalés à la police, la proportion variant selon la nature du délit. La proportion de victimes de violence perpétrée par un conjoint ou un ex-conjoint qui signalent cette violence à la police est de 19 % en 2019. »
    Source : Bilan rapport Infractions commises dans un contexte conjugal du ministère de la Sécurité publique
    46,9 %
    Proportion des victimes d’agressions sexuelles en 2021 qui étaient âgées de 15 à 24 ans. La proportion atteint 59,3 % pour les victimes d’autres infractions d’ordre sexuel.
    Source : Rapport Infractions commises dans un contexte conjugal.