Interpellé alors qu’il conduisait un véhicule luxueux : un policier noir du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) poursuit quatre agents de la Sûreté du Québec (SQ) pour profilage racial. L’homme de 43 ans, au SPVM depuis 15 ans, affirme avoir été injustement pris pour cible et réclame plus de 100 000 $ au corps policier provincial.

Ce qu’il faut savoir

Un homme noir, policier au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), poursuit la Sûreté du Québec (SQ).

La victime de 43 ans allègue que quatre agents de la SQ l’ont injustement interpellé et poussé au sol après l’avoir vue au volant d’un véhicule luxueux en 2021.

Le père de famille réclame plus de 100 000 $ au corps policier et aux agents. Ces derniers l’auraient ciblé car ils voulaient savoir s’il allait participer à un rassemblement contre les mesures sanitaires en pleine pandémie.

René* est accablé par un profond sentiment d’humiliation depuis trois ans. Il a perdu foi en sa profession. Il remet en question ses choix professionnels. L’évènement qui a tout fait basculer – dont la trame narrative est relatée dans la poursuite – est survenu en septembre 2021.

Une ordonnance de la cour nous empêche de révéler l’identité du plaignant, un agent du SPVM dans la quarantaine comptant 15 ans d’ancienneté. Sa demande d’anonymat lui a été accordée, car il craint des représailles.

Septembre 2021. René s’est récemment procuré un VUS. Il se rend chez sa sœur à Joliette un matin d’automne au volant de son nouveau bolide. Il roule les fenêtres baissées en écoutant du kompa, musique typiquement haïtienne.

Il remarque plusieurs voitures de patrouille de la SQ aux abords du palais de justice de Joliette cette journée-là. La rue sur laquelle il circule est perpendiculaire à l’endroit où sont stationnés les agents dans leurs véhicules de service.

Lorsqu’il s’apprête à traverser une autre rue, l’un des véhicules de la SQ se place derrière sa voiture, selon les faits relatés dans la poursuite.

René se gare dans l’entrée privée de la résidence de sa sœur et sort de son véhicule.

« C’est à cet instant que le véhicule de la SQ qui le suit allume ses gyrophares. Le Demandeur, qui est lui-même policier, a l’impression qu’il vient injustement de se faire profiler », relate le document judiciaire déposé mercredi après-midi et consulté par La Presse.

Poussé au sol, selon la poursuite

Le plaignant en est certain : il est visé parce qu’il est un homme noir au volant d’une voiture de luxe. Il n’a commis aucune infraction durant la courte distance parcourue où les policiers l’ont observé, allègue le poursuivant.

Il a beau brandir son badge pour signaler son appartenance aux forces de l’ordre, rien n’y fait : l’agent de la SQ lui demande de s’identifier. René refuse de le faire puisqu’il s’agit à son avis d’une demande « illégale ».

Il se dirige vers la porte d’entrée de la maison de sa sœur pour aller chercher un masque chirurgical, mentionne-t-il au patrouilleur qui l’interpelle. Nous sommes alors en pleine pandémie de COVID-19.

« Ce dernier s’interpose en mettant sa main sur l’épaule du Demandeur et lui demande de s’identifier. Le Demandeur jugeant l’ordre illégal n’y répond pas. »

Il dit à son confrère de la SQ de ne pas le toucher et sort son portefeuille.

Le policier hausse le ton, lui arrache l’objet des mains et le pousse au sol, selon la version du plaignant.

« Il tente en vain de revendiquer ses droits, ce à quoi le Défendeur Lavigne-Sauvé répond en demandant du renfort sur les ondes radio », peut-on lire dans la poursuite.

Manifestation antimasque

Les agents de la SQ ont reçu cette journée-là le mandat de vérifier les véhicules provenant de l’extérieur de la ville « en raison d’une manifestation antimasque prévue et annoncée par un homme noir ».

Les policiers tentaient de savoir s’il allait participer au rassemblement.

« Les agents répètent à de nombreuses reprises qu’ils ne croient pas qu’il soit réellement policier, qu’il n’agit pas comme une police et qu’il a un comportement bizarre », peut-on lire dans le document judiciaire.

Abasourdi, René transmet les coordonnées du poste de quartier où il travaille et invite les policiers à contacter son superviseur. Ces derniers s’exécutent, dénonçant le fait qu’il ait brandi son badge, puis quittent les lieux.

Une plainte en discipline

« Au mois de mai 2022, [René] est informé qu’une plainte en discipline a été logée par les Défendeurs à son encontre », indique la poursuite. On lui reproche d’avoir montré son badge sans raison valable.

Depuis, il souffre dans son milieu de travail, « ne supporte plus d’entendre des commentaires désobligeants et racistes », s’interroge sur son avenir et son choix de carrière et tombe en arrêt de travail en 2023.

L’homme de 43 ans, père de deux enfants, réclame 121 000 $ à la SQ. Il demande 15 000 $ au premier agent l’ayant interpellé et 7500 $ aux trois autres policiers présents.

Il est représenté par MFernando Belton, MVirginie Dufresne-Lemire et Me M’mah Noura Touré.

« Ce dossier met en lumière le fait que peu importe le statut social d’un homme noir, qu’il soit avocat, juge, ou policier, aucun n’est exempt d’être victime de profilage racial », estime MBelton.

Dénoncer le profilage racial est difficile pour un policier, croit le criminaliste. « Cela a fortement ébranlé ses convictions personnelles quant à son métier. Il y a le risque de représailles de la part de ses collègues et la perception dans le milieu. »

La Presse avait rapporté la semaine dernière qu’une policière noire de la GRC poursuivait un agent du SPVM pour des motifs similaires.

Lisez « Allégations de profilage racial : une policière noire de la GRC poursuit la police de Montréal »

* Prénom fictif