« L’amour ne fait pas de bleus », dit un slogan féministe brandi pour dénoncer la violence conjugale.

En lisant le reportage troublant de ma collègue Gabrielle Duchaine sur la violence en contexte amoureux chez les jeunes me sont venues en tête de multiples variations sur le même thème.

L’amour ne suit personne à la trace par géolocalisation.

L’amour ne menace personne de diffuser ses photos intimes en cas de rupture.

L’amour ne demande pas constamment : « T’es où ? Avec qui ? Appelle-moi sur FaceTime pour que je vérifie. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE COLLAGES FÉMINISTES QUÉBEC

Collage du collectif de « colleureuses » féministes de la Ville de Québec

Tous ces comportements n’ont rien d’amoureux. Il s’agit en fait d’une forme de violence qui ne fait pas de bleus non plus, mais qui n’en est pas moins grave. On parle de comportements de contrôle coercitif qui constituent la trame de fond des histoires de violence conjugale. Une sorte de laisse invisible qui inclut la surveillance des déplacements de l’être « aimé », des tactiques d’isolement de ses proches, des menaces en cas de désobéissance au conjoint violent, des épisodes d’humiliation…

Savoir en reconnaître les manifestations sauve des vies. Car c’est un leurre de croire que s’il n’y a pas de coups, il n’y a pas de danger pour la victime. Contrairement à la croyance populaire, les féminicides ne sont pas nécessairement précédés d’autres épisodes de violence physique. Dans de nombreux cas, les premiers coups sont aussi, fatalement, les derniers.

D’où l’urgence d’agir bien avant les coups. Bien avant que le pire ne se produise.

Après la mort tragique de Daphné Huard-Boudreault, une jeune femme de 18 ans tuée par son ex-conjoint qu’elle avait pourtant dénoncé à la police, la coroner Stéphanie Gamache avait recommandé plus de formation pour les policiers appelés à intervenir auprès des victimes de violence conjugale1.

Un « rappel ponctuel » concernant les comportements qui caractérisent les cycles de la violence conjugale aurait possiblement permis aux policiers de détecter les drapeaux rouges qu’ils avaient devant eux, a souligné la coroner dans son rapport rendu public en mai 2020. Le fait que l’ex-conjoint parte avec le cellulaire de Daphné et qu’il utilise son compte Facebook à son insu aurait dû être considéré comme des signes de contrôle coercitif alarmants.

La coroner recommandait par ailleurs que Québec lance une campagne de sensibilisation et de promotion des rapports égalitaires et qu’on l’étende spécifiquement à l’ensemble des élèves du secondaire.

Dans la foulée du rapport Rebâtir la confiance, le gouvernement s’est engagé à donner suite à ces recommandations et à plusieurs autres. En réponse à la recommandation de la coroner à la suite de la mort de Daphné Huard-Boudreault, on a inclus dans la stratégie gouvernementale 2022-2027 des initiatives de sensibilisation adaptées aux jeunes.

Officiellement, la prévention de la violence conjugale fait partie du cursus scolaire de toutes les écoles secondaires du Québec. En quatrième secondaire, le cours d’éducation à la sexualité vise notamment à permettre aux jeunes de reconnaître les manifestations de violence en contexte amoureux.

Dès la rentrée prochaine, dans le cadre du programme de Culture et citoyenneté québécoise destiné aux élèves de 15 et 16 ans, l’encadrement juridique de la vie amoureuse et sexuelle fera aussi partie des thèmes obligatoires vus en classe. On y abordera entre autres choses les questions relatives à la cyberviolence et au partage non consensuel d’images intimes.

Ce sont certainement des pas dans la bonne direction. Mais les témoignages recueillis par les intervenantes des maisons d’hébergement, qui offrent gratuitement des ateliers de sensibilisation dans les écoles secondaires, montrent qu’il y a encore beaucoup à faire, même si certains établissements scolaires demeurent réticents.

Après chacun des ateliers – qui ne font pas partie du cursus scolaire –, les maisons d’hébergement reçoivent des appels à l’aide de nombreuses adolescentes qui réalisent qu’elles sont victimes de violence, souligne Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

« Il y a des maisons qui proposent des groupes de soutien pour les jeunes filles après l’atelier. Les TES [techniciennes en éducation spécialisée] nous disent que ça éveille des choses et que les jeunes viennent davantage les voir dans leur bureau. Pendant les présentations, on voit aussi des jeunes sortir de la classe en pleurant. »

Avec les adolescents, on ne parle pas de « violence conjugale », mais plutôt de violence dans les relations amoureuses ou de relations toxiques – des mots qui font davantage écho à ce qu’ils vivent et qui les interpellent davantage. « Violence conjugale, c’est pour les madames ! »

Cela dit, que l’on parle de violence conjugale subie par « les madames » ou de violence dans les relations amoureuses subie par les jeunes, on parle de la même violence encore trop souvent banalisée. On parle des mêmes mythes tenaces qui font qu’elle perdure2. D’où l’importance de miser sur davantage de prévention dès le plus jeune âge. À quand une grande campagne sociétale sur le sujet ?

1. Lisez « Meurtre de Daphné Huard-Boudreault : une campagne de sensibilisation recommandée » 2. Lisez « Violence conjugale : des mythes tenaces et dangereux »

Où demander de l’aide

SOS Violence conjugale offre de l’aide et un service de référence aux maisons d’hébergement de votre région, par sa ligne téléphonique (1 800 363-9010) et son site web.

Consultez le site de SOS Violence conjugale

Les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale offrent aussi des services aux adolescentes, dont des groupes de soutien et des rencontres individuelles.

Consultez le site du projet Étincelles