La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Qu’on se le dise : non, on ne se tourne pas vers les hommes parce que c’est plus « facile » ou parce que les femmes sont au contraire trop « compliquées ». Ce n’est pas exactement un choix. Richard*, la soixantaine sonnée, en a long à dire sur le sujet.

Il nous a écrit l’été dernier, en réaction au récit d’un certain Vincent*, qui disait justement être « ce type d’homme ». « Pas d’attirance pour les hommes, mais finalement il baise avec des gars parce que c’est plus facile ? Really ? Qu’est-ce qui me choque ? C’est que ça laisse croire que les hommes gais sont des ensorceleurs ayant le pouvoir de faire dévier “les bonnes gens” dans le chemin de l’abomination. De loin le meilleur argument pour nourrir la pire des homophobies ! »

Lisez le témoignage « Vincent est “ce type d’homme” »

On a fini par se fixer un rendez-vous cet automne, dans un joli café rétro de la rue Ontario, pour creuser cette vive réaction. Il faut dire que Richard a vécu de sacrées transformations, et il le sait. Né à une époque où l’homosexualité était encore considérée comme criminelle, il est entré dans sa vie sexuelle active en pleine crise du sida. « Ça donne le goût de vivre ta vie, ça ! écrivait-il. Alors les récits de gars qui sont “entraînés” là-dedans, ça me dérange. Beaucoup. Parce que je n’y crois pas un instant. On ne se fait pas entraîner. On est. Point. Le choix qu’on a, c’est de s’assumer ou pas. »

De son côté, il a toujours su qu’il était attiré par les hommes, débute-t-il, en nous regardant droit dans les yeux, de ses grands yeux clairs qui se rempliront souvent d’eau pendant l’entretien. Et il en a mis, du temps, avant de s’« assumer », justement. Dès la petite enfance, il se fait traiter de « tapette ». « J’étais efféminé ! » Élevé dans une famille de filles, avec un père peu présent, rapidement, Richard se dit : « Voilà l’explication ! […] Dans ma tête, je suis devenu comme ça. Donc on a juste à défaire ça. C’est aussi simple que ça ! »

« À l’époque, il n’y a pas de Fierté, aucun personnage gai dans les téléromans », rappelle notre interlocuteur. « La seule référence qu’on a, c’est Michel Girouard et tout le monde rit de lui au Québec. Ce gars a eu un vrai courage et je le salue, précise-t-il, mais t’as pas le goût que tout le monde rie de toi. »

Surtout quand, en cachette, tu t’amuses dans ton sous-sol à l’adolescence avec un proche, des « jeux » qui vont aller jusqu’à la pénétration complète, vers 16 ans. « Je vivais ça comme une parenthèse, se souvient-il, quelque chose qui allait s’estomper… »

En parallèle, et au grand jour, Richard se fait une copine, et là, enfin « tout va bien ». « Tu fais partie du groupe. »

Je pense que les gais de mon époque sont les meilleurs menteurs. T’as pas le choix de te faire une carapace, ce n’est pas compliqué : c’est une question de vie ou de mort…

Richard, la soixantaine

C’est une fois arrivé au cégep qu’il rencontre la mère de ses enfants. C’est une très belle fille, le scénario « parfait ». « Et ça a pris deux ans avant qu’il se passe quelque chose, rit-il doucement, le recul aidant. Et c’est elle qui a fait les premiers pas. […] Pauvre fille, ça devait être bien ennuyant, bien mécanique… »

De son côté, Richard voit l’acte comme quelque chose d’« agréable », ni plus ni moins « une expérience intéressante ». Il faut dire que dans sa tête, il jubile : « J’ai eu une érection, une éjaculation, donc je suis sur la voie de la guérison ! […] Mais au fin fond de moi, je savais qu’il n’y aurait pas de guérison… »

Mais il s’entête, et pendant 20 ans de surcroît, parce que par ailleurs, tout est « parfait » : il a une femme parfaite, une belle maison, et rapidement, des enfants qu’il adore s’ajoutent à l’équation.

Dans sa tête, il ne va pas tout gâcher pour deux heures théoriquement en moyenne d’activités sexuelles par semaine. « Ça ne marche pas, mathématiquement ! », se convainc-t-il. Une réflexion qui ne tient pas vraiment la route en pratique. « Parce que c’est 24 heures sur 24 que ça t’obsède… »

La première fois qu’il va voir ailleurs, il s’en souvient encore. Il appelle sa femme en pleurant juste après : « je suis une c… de tapette ». Tout s’effondre. Le lendemain, il se ravise, efface tout et recommence : « Je suis un imbécile, je me suis trompé, ce n’est pas ça. » Ils n’en ont jamais reparlé.

J’ai vécu énormément de culpabilité. Et j’en vis encore.

Richard, la soixantaine

C’est qu’ensuite, les escapades soi-disant « en moto » se multiplient. « Je revenais à 4 h du matin… » Pour faire quoi, concrètement ? « J’allais dans un bar gai, je baisais, et je rentrais. » À quelle fréquence ? « Trop », dit-il en riant, avec le recul toujours.

Parallèlement, avec sa femme, de ce côté, c’est « très tranquille » : « je ne pense pas qu’il y a eu une année où on a fait ça plus que quatre fois ».

Mais les maladies l’obsèdent, il a une peur bleue de rapporter quelque chose à la maison, ce qui ajoute une couche à sa culpabilité grandissante. À tel point qu’un jour où sa femme a une migraine, Richard en est convaincu : il l’a contaminée. Ce n’est pas du tout le cas, mais le mal est fait : il broie des idées noires, songe au suicide et se retrouve hospitalisé. Le château de cartes s’effondre. Il a 40 ans.

Richard devient ici émotif. Il se revoit rentrer à la maison, faire l’amour une dernière fois à sa femme. « On s’aime encore, je vais toujours t’aimer, lui dit-il, mais pas comme un gars doit t’aimer. » À l’époque, ils pleurent en chœur. Cela fait 20 ans. Ses yeux rougissent encore en se racontant.

On vous épargne la suite des évènements, sa séparation (difficile, mais dans la bonne entente, vers l’« amitié parentale »), puis les quelques années de célibat de Richard. Libéré, vous dites ? Disons qu’il s’« assume » enfin. « J’appelle ça ma deuxième adolescence », dit-il en souriant de nouveau. Il vit « à fond », une sexualité « débridée » et « sans lendemain ». Mais cela fait son temps. « Sexuellement, ça va, mais sentimentalement, c’est autre chose. »

Toujours est-il que notre homme finit par rencontrer son conjoint actuel, un soir dans un bar. Cela fait presque 20 ans. Savez-vous quoi ? Son bonheur ne dérougit pas depuis. « Je n’ai jamais pensé qu’un jour, je serais monogame. Je pensais que j’en étais incapable ! conclut-il. J’ai fait beaucoup trop de détours dans ma vie. […] La pire homophobie que j’ai subie, je me la suis servie à moi-même. »

* Prénoms fictifs, pour protéger leur anonymat