La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Vincent*, mi-quarantaine

Il est père de famille, marié à une femme « exceptionnelle » avec qui il n’a néanmoins plus de sexualité. Alors il fréquente des hommes gais. Entretien, explications et regrets.

Il est « ce type d’homme », nous a écrit Vincent plus tôt cet été, à la suite du témoignage d’un « homme gai sur les hommes mariés » d’un certain Jean-François*, quant à lui assumé, à la fois « choqué » et « troublé » par ces rencontres dans le placard, et surtout à répétition.

Lisez l’article « Réflexions d’un homme gai sur les hommes mariés »

Notre Vincent, un homme dans la mi-quarantaine, nous a donné rendez-vous dans un coquet café de sa région pour se raconter. Discret, du type plutôt réservé, on comprend d’emblée que les confidences, ça n’est pas exactement son truc. N’empêche qu’il répond gentiment à nos questions, quoiqu’avec une certaine pudeur, en riant ici et là nerveusement.

Sa conjointe actuelle, la mère de ses enfants, est aussi sa toute première petite amie, débute-t-il. Ils se sont connus au secondaire, puis se sont fréquentés au cégep.

Non, il n’a jamais vraiment été attiré par les hommes. Ou à peine, précise-t-il. « Pas vraiment. Je me souviens très tôt avoir eu envie d’un ami proche, mais ça ne s’est pas concrétisé. Et c’était du domaine du fantasme. » Point barre.

Avec sa femme, au lit, ça se passe d’ailleurs « très bien », enchaîne-t-il. Et ce, dès les débuts. « On faisait l’amour souvent, on avait une vie sexuelle extrêmement active, confirme-t-il en riant discrètement. Et puis on a eu des enfants très tôt […], mais ça a continué d’aller bien. Mais évidemment, comme parent, tu perds un peu le beat de ta vie sexuelle. »

Il ne s’épanche pas sur le sujet et fait plutôt un bond de géant dans le temps. C’est qu’il y a cinq ans, au tournant de la quarantaine, Vincent découvre, en empruntant l’ordi de sa femme, qu’elle est sur un site de rencontres. C’est le choc. « Par accident, j’ai découvert plein de conversations avec d’autres hommes. J’ai été frappé. Et je le suis encore… »

Il la « confronte » le soir même et madame « avoue » tout. Mais attention, Vincent ne lui en veut pas tant que ça. « Je me sentais coupable en partie, explique-t-il, je portais moins attention à elle. Dans ma famille, on n’est pas très… » Il cherche ici ses mots. Démonstratif ? Vincent acquiesce : « Elle cherchait quelque chose que je n’étais pas capable de lui offrir, croit-il. Les petites attentions. »

Toujours est-il que la conséquence est « regrettable », déclare-t-il, énigmatique :

Ça a créé un drôle d’éveil, et je le regrette aujourd’hui. […] Ça m’a amené à toutes sortes d’endroits. Mais j’aimerais revenir à ma vie d’avant.

Vincent, mi-quarantaine

Où, comment ? « C’est qu’elle m’a dit : “fais tes expériences”, comme je n’avais rien connu d’autre. » Et ce sont ces expériences, devine-t-on, que Vincent regrette à ce jour. Parce qu’elles ont en quelque sorte ouvert « une porte » qu’il n’est pas sûr de pouvoir refermer.

Au début, faut-il le préciser, il ne cherche pas du tout à rencontrer des hommes. Mais plutôt des femmes, pour de simples « aventures ». Il en vit quelques-unes, mais rien d’« extraordinaire ». Son couple vit, on s’en doute, une époque « tumultueuse ». Ils essayent d’ailleurs de s’inscrire ensemble sur un site, pour y faire des rencontres échangistes. Mais l’affaire s’avère plus compliquée qu’elle n’en a l’air. « Trouver le match parfait, ça n’est pas évident. » Quand ça clique pour l’un, ça n’est pas le cas de l’autre, et vice-versa. « On essayait de pimenter notre vie, mais au final, ça créait plus de tensions qu’autre chose », laisse-t-il tomber.

Avec le temps, madame finit par délaisser le projet. Mais pas lui. Et tranquillement, quasi naturellement, Vincent se met à converser avec des hommes. « Parce que c’est facile, justifie-t-il. Il n’y a rien de compliqué ! »

Et puis ? Vincent n’ose pas être trop « cru », alors il résume sobrement : « J’ai découvert tout un monde. » Un « monde » en matière de positions, de lieux et de fréquence. Dans un motel, sur l’heure du lunch, ou encore après le boulot, avant de rentrer souper, il oscille entre une rencontre aux deux jours (au début) à quelques fois par mois (aujourd’hui). S’il a quelques partenaires réguliers, il préfère « la nouveauté ».

Ce qu’il en retire ? « Le thrill, répond Vincent sans hésiter. L’évasion. […] Avec les hommes, c’est sans lendemain, il n’y a pas d’attentes. […] Et c’est comme une drogue. »

Inversement, avec les femmes, « c’est tellement compliqué avoir une rencontre, j’ai arrêté ça, rit-il subtilement. Et puis j’ai l’impression que pour une femme, il n’y a pas que le trip de la rencontre sexuelle. Pour une femme, ça prend une connexion… »

Depuis, il se dit « bi ». « Mais c’est juste pour la facilité. Je suis toujours attiré par les femmes. Et toujours attiré par ma femme. »

Parlant de sa femme, il faut savoir qu’il n’a plus la moindre intimité avec elle, quoique ça ne soit pas forcément relié. « Elle commence à moins aimer son corps », glisse-t-il. D’ailleurs, sait-elle ? Oui, elle est vaguement au courant. « Au début, je lui disais tout, mais elle pleurait, elle trouvait ça difficile. Alors, peu à peu, je me suis refermé. »

Ce qu’elle ne sait pas ne lui fait pas de mal.

Vincent, mi-quarantaine

Mais, non, elle n’est pas « nécessairement favorable ». À preuve : « Elle aimerait mieux que j’arrête. »

De son côté, Vincent n’est pas non plus exactement heureux là-dedans. Il est aussi allé consulter. « C’est quand même assez intense, mon affaire, dit-il. Est-ce que quelque chose ne va pas ? Est-ce que je ne suis pas normal ? » Il s’est également tourné du côté des Sexoliques anonymes. Pendant près de deux ans, Vincent est allé à différentes rencontres et a même passé des week-ends intensifs en groupe. « Mais l’abstinence complète, c’est très difficile […]. Et je trouvais ça assez radical. […] Ça ne se peut quasiment pas. »

Alors, il a délaissé le groupe et a repris de plus belle ses activités. Mais il ne se sent pas mieux pour autant. Il en est conscient et il le dit : Vincent porte un « boulet ». « Il faut que je trouve autre chose pour m’épanouir que ça. Ce n’est pas viable à long terme. »

S’il a des regrets, ose-t-on ? « Une partie de moi, oui, dit-il. Je regrette parce que je ne sais pas si je vais être capable de reprendre ma vie sexuelle avec ma femme. Et ça me manque. On a moins d’intimité, on s’est éloignés, j’aimerais me rapprocher, mais ni l’un ni l’autre ne fait les pas. C’est embêtant. Ça semble simple. Mais ce n’est pas simple ! »

D’où ses allers-retours sur les sites.

D’où son témoignage, surtout, en réponse au fameux récit de Jean-François, « choqué ». « Pour répondre à monsieur, dit-il, il y a beaucoup de frustrations, je le sens, et cela vient contaminer les réseaux sociaux. Les gens trouvent qu’il y a du niaisage sur les sites. Mais il y a surtout des gens qui souffrent. » Vincent le sait. Il en est.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire