La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Savannah* n’en peut plus des récits d’échangisme ici, ou d’infidélités là. Elle n’en peut plus d’entendre les gens donner tant d’importance à leur vie sexuelle, comme si c’était une fin en soi. Une dépendance. Ou un « fix ». Entretien avec une femme qui revient de loin.

« Je suis une alcoolique, j’ai bu plus de 25 ans, les dépendances, je connais ça ! », déclare-t-elle d’emblée, à peine assise sur un banc de centre commercial, le mois dernier.

« Je ne suis plus capable d’entendre ces histoires de “fix”, de gens si épanouis. […] Been there, je le sais qu’on ne s’épanouit pas comme ça. »

Savannah, coquette blonde de 60 ans, nous a écrit un message coup de gueule, plus tôt cet automne. « Je vous lis souvent. Malgré moi. Souvent, cela me fâche. C’est comme s’il fallait avoir du sexe à tout prix ! »

Assise devant nous, elle en remet :

On donne tellement d’importance à la vie sexuelle, mais c’est une goutte ! Qu’est-ce que tu fais avec ton orgasme une fois fini ?

Savannah, 60 ans

On devine là la réflexion d’une femme qui a du vécu et qui en a sans doute arraché. Et on devine juste.

« J’ai un tempérament excessif. J’ai été 30 ans en thérapie », confirme-t-elle. Issue d’une famille plutôt toxique, avec un père violent, elle commence à boire très jeune. À table en famille dès 8 ans. « Puis à 13 ans, j’allais au Vieux Munich. Je faisais plus vieille. À toutes les occasions, je consommais. »

Elle découvre la sexualité vers 18 ans, avec un type qu’elle croit être l’« homme de [sa] vie ». « Je n’ai jamais été sa blonde officielle. Mais j’ai étiré ça dans ma tête dix ans. » À bien y repenser, pour lui, elle n’était sans doute qu’un « apéritif ».

Puis, toute sa vingtaine, elle vit quantité d’« aventures ». Un passage qu’elle qualifie de « débridé ». À part un homme, qui avait une « technique » hors du commun, se souvient-elle, celles-ci sont plutôt toutes « très ordinaires ».

N’empêche que Savannah poursuit, multipliant les rencontres, en autant de nuits. Il lui est déjà arrivé de coucher avec trois types différents, trois soirs consécutifs. Toujours en consommant.

Pour le feeling. Que ça ne soit plus important. Le gars n’a pas d’allure, mais c’est correct, quand je vais être soûle, ce ne sera pas grave.

Savannah, 60 ans

Mi-vingtaine, elle tombe enceinte d’une de ses nombreuses aventures d’un soir et se fait ensuite avorter. « C’est un traumatisme, laisse-t-elle tomber. Cette succion… » Elle s’en veut, et une ITS plus tard, a finalement un « réveil ». « Il faut que je change mon comportement sexuel », décide-t-elle.

Elle se « calme », comme elle dit, se case, et a même un enfant. Comment est le père au lit ? « Ordinaire, répond-elle. Comment dire : ce n’est pas compliqué, un orgasme, s’il sait quoi faire… » Le sait-il ? On ne le saura pas.

Savannah, de son côté, continue à boire, un verre de porto en pliant le linge ici, un gin tonic pour finir la journée là. « Ce n’est pas la quantité qui fait l’alcoolisme, tient-elle à préciser, c’est comment ça dirige ta vie. »

Quelques années plus tard, le père ne l’aime plus, elle le quitte, et se retrouve, un soir sans enfant, nue dans un hôtel avec un homme dont elle ne se souvient de rien. Un véritable « black-out » qui lui fait une sacrée frousse. Et une secousse, aussi. « Ce n’est pas ça que je veux, réalise-t-elle. J’ai un sentiment de honte, est-ce qu’on a mis un condom, il était un, ou dix ? »

Savannah a 35 ans. Elle finit ici par consulter, puis se joint aux Alcooliques anonymes, sur les conseils de son médecin. Elle n’a jamais repris une goutte depuis.

Fin de l’histoire ? Pas exactement. Dans le cadre des rencontres, elle s’entiche d’un autre membre, « il n’avait pas d’allure » et lui fait même un enfant. « Ça a duré deux ans, très pénible… »

La révélation

Elle ne s’éternise pas sur la question parce qu’elle arrive enfin au clou du sujet. « J’étais tellement dans le noir, résume-t-elle, j’ai voulu émerger dans la lumière. »

Émerger dans la lumière ? C’est que très concrètement, elle décide, mi-quarantaine, de se consacrer à ce qu’elle aime et se plonge dans des recherches, tenez-vous bien, sur le tantrisme. On ne sait pas trop d’où cela lui vient, mais toujours est-il que c’est une « révélation ». « J’ai fait une session toute seule, raconte-t-elle, l’exercice, le rituel, avec des chandelles, les quatre points cardinaux, et j’ai trouvé ça très respectueux envers moi. Cette montée du désir, c’est comme se faire l’amour. […] Et ça m’a révélé à une sexualité saine ! » Comment ? « Ç’a été une façon de me réapproprier mon corps. Utiliser mon énergie pour une intention. Il y avait quelque chose de grand ! »

Depuis ? Après un dernier détour par les réseaux sociaux, où elle n’a croisé que des types « qui veulent du sado ou du maso », Savannah a décidé que c’en était fini. « J’ai fini par assumer ma solitude. Et à être bien en dedans. »

« Derrière ma porte, il se passe quelque chose, déclare-t-elle en souriant. Je me suis acheté un lit king et je serre mes oreillers. C’est le plus beau cadeau d’amour et de respect que je puisse me donner aujourd’hui. »

Et si vous voulez tout savoir, oui, elle a récidivé avec son rituel tantrique. « Mais c’est de la job ! », pouffe-t-elle de rire. « Reste que pour moi, c’est la plus belle sexualité que j’ai vécue… »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat