Beaucoup de choses ont été dites sur les initiations sadiques qui ont secoué le monde du hockey junior.

Il reste néanmoins des aspects mal compris à ce scandale. Des aspects qui relèvent… de la psychologie.

Qu’est-ce qui pousse un jeune homme à imposer de telles atrocités à ses coéquipiers ? Que diable se passe-t-il dans sa tête lorsqu’il saisit un bâton de hockey et s’apprête à l’utiliser à des fins qui s’éloignent considérablement de son usage prévu ? Dans quel état d’esprit se trouve-t-il lorsqu’il inflige des humiliations, des blessures, des actes de torture à ses semblables ?

Comprendre les motivations et les pressions qui s’exercent sur les agresseurs est essentiel si on veut prévenir des drames semblables.

Or, il se trouve que la science à des réponses à apporter.

Diana Cárdenas Mesa est professeure de psychologie sociale à l’Université de Montréal. Elle explique que la première idée à s’enlever de la tête est celle que les dérapages découlent de la personnalité déviante des joueurs impliqués.

« Si c’était une question individuelle, ça voudrait dire que le hockey attire les individus qui sont plus portés à faire ce type d’actions », souligne-t-elle, jugeant l’hypothèse bien improbable.

On sait d’ailleurs que les initiations ne dérapent pas juste au hockey, mais aussi dans d’autres équipes sportives, au sein des facultés universitaires et dans l’armée, notamment.

Les spécialistes estiment que les problèmes découlent plutôt de l’incroyable force qu’exercent les groupes sur les individus.

La professeure Cárdenas Mesa explique qu’au moment de commettre une agression, un joueur n’agit pas selon sa propre analyse et ses propres convictions. Il adopte plutôt les normes, les valeurs et les comportements du groupe au sein duquel il évolue.

« Ce n’est plus : moi, je pense que. Ça devient : nous, on pense que », illustre-t-elle.

Des expériences ont montré que ce phénomène se manifeste même si on forme un groupe constitué de parfaits inconnus.

Mais il s’accentue grandement si un individu a un fort sentiment d’appartenance envers une communauté, comme une équipe de hockey.

« Plus le groupe est important pour nous, plus on va agir en tant que membre du groupe plutôt qu’en tant d’individu », résume la professeure Cárdenas Mesa.

La théorie psychologique de l’identité sociale montre par ailleurs qu’on a tendance à juger positivement les membres de son propre groupe. Cela s’applique aussi à leurs actions… et à celles qu’on commet soi-même comme membre du groupe.

Même si on fait des actes terribles, on peut les justifier et se dire à soi-même : ça fait juste démontrer qu’on est forts, que notre groupe est solide. Il est étonnamment facile de se convaincre que nos actes terribles ont un sens.

Diana Cárdenas Mesa, professeure de psychologie sociale à l’Université de Montréal

À cela s’ajoutent des dynamiques complexes. Michael Atkinson, spécialiste de la violence et de la douleur dans les sports à l’Université de Toronto, a déjà écrit que les initiations servent à « renforcer le pouvoir de membres seniors prédateurs sur des membres juniors qui ont beaucoup moins de pouvoir et de capacité à dire non1 ».

Ajoutons que plusieurs des bourreaux sont d’anciennes victimes possiblement encore perturbées par les agressions qu’elles ont elles-mêmes subies.

Ces enseignements sont précieux et auraient intérêt à être mieux connus dans toutes sortes de milieux. Des communautés fortes qui développent leurs propres normes et leur propre culture amènent des bénéfices indéniables, mais génèrent aussi des risques de pensée unique dont on doit être davantage conscient.

Faut-il par ailleurs uniquement s’inquiéter pour les groupes masculins ? Dans un texte publié sur le site web de l’Université de Toronto, le professeur Michael Atkinson affirme que non.

« Les rituels d’initiation sont aussi communs au sein des équipes sportives féminines et des clubs universitaires féminins. Ils impliquent également des activités sexuelles ou des simulations d’actes sexuels, la consommation excessive d’alcool ainsi que l’humiliation et les abus envers les autres », écrit l’expert, qui reconnaît toutefois que les hommes ont tendance à pousser les choses « au palier supérieur ».

La professeure Diana Cárdenas Mesa n’est par ailleurs pas surprise d’apprendre que des responsables comme des entraîneurs ou d’autres dirigeants ferment souvent les yeux sur les agressions qui se déroulent pendant les initiations. C’est qu’eux aussi font partie d’un groupe et cherchent à le défendre.

Ces informations suggèrent qu’il pourrait être important pour les victimes de pouvoir dénoncer des abus auprès de gens qui évoluent à l’extérieur du groupe dont ils font partie. Elles permettent aussi de mieux comprendre pourquoi les enquêtes internes conduisent rarement à des prises de conscience et à des changements.

Les dynamiques de groupe ne changent rien au fait que les individus restent entièrement responsables de leurs actes. Il ne s’agit aucunement d’excuser les agressions. Seulement de mieux comprendre les conditions dans lesquelles elles se produisent afin de les prévenir.

1. Lisez un texte publié sur le site web de l’Université de Toronto (en anglais)