La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Laurence*, 52 ans.

Voilà, c’est dit. La pénétration, ça ne la branche pas plus que ça, elle n’y prend pas tant de plaisir et ne jouit surtout jamais par là. Inutile d’insister, quoi. Confidence libératrice d’une femme qui commence à s’écouter.

Ça lui aura pris des années à se comprendre et, surtout, à s’assumer. Laurence, discrète brunette à la cinquantaine flatteuse, nous a donné rendez-vous un vendredi après-midi polaire dans un café de la rue Saint-Hubert. Assise un peu à l’écart, elle plonge d’emblée dans le vif du sujet : « Il y a eu un moment dans ma vie où je me suis mise à dire les choses. Et cette chronique fait partie de mon processus, dit-elle d’une voix douce et d’un ton posé. J’ai dit à un homme que la pénétration, ça ne m’intéresse pas. »

Non, elle n’avait jamais osé avant. « Personne ne dit jamais ce genre de choses, avance-t-elle. On le lit, oui, mais c’est complètement différent de le dire. […] Or, ça a réveillé en moi beaucoup de choses, je me sens beaucoup plus… libre ! », sourit-elle timidement.

Libre, elle l’a pourtant toujours été, et toute sa vie. Laurence a ainsi découvert la sexualité sur le tôt, vers 14 ans. « J’ai toujours été précoce, confirme-t-elle. C’est la découverte qui m’intéressait, l’interdit… »

Cette histoire, avec un homme sensiblement plus vieux, dure trois ans.

Parenthèse : « Je viens d’une famille où on lisait ce qu’on voulait, je pense que j’ai lu le rapport Hite à 10 ou 12 ans. On écoutait ce qu’on voulait, mon père a déjà loué des films pornos avec nous », se souvient-elle, en se remémorant son adolescence avec ses copines. « On était curieuses, mes parents étaient très permissifs, peut-être trop, en même temps… », hausse-t-elle des épaules. Tout cela pour dire que Laurence s’est toujours considérée « informée », au courant, ouverte, quoi. Comme quoi « il n’y avait pas de bogue ! ».

J’ai souvent été la personne la plus expérimentée dans mes relations, la plus dégourdie…

Laurence, 52 ans

Elle s’amuse pendant son secondaire et son cégep, a plusieurs copains, avant de vivre sa première « vraie relation sérieuse » à 25 ans. L’affaire dure cinq ans. « C’était un gars très sociable, plus grand que nature, très, très beau, un peu narcissique, se souvient-elle, et moi un peu dépendante. Notre relation était très basée sur le sexe. » Et à nouveau, c’était souvent Laurence l’instigatrice, à l’avant-garde de l’exploration. « Et moi, je m’occupais de mon propre plaisir… », glisse-t-elle.

Après cette relation, dont elle a mis du temps à se remettre, Laurence passe 10 ans célibataire. « Et j’ai vécu plein d’affaires, poursuit-elle. Jamais rien de hardcore, mais de l’exploration. »

Au travers de différents jeux sexuels, la réalisation de divers fantasmes de ces messieurs, oui, Laurence s’amuse. Mais jamais exactement à la pénétration. « J’avais du fun, oui, confirme-t-elle. J’aurais aimé que la pénétration fasse partie des choses que j’aimais, mais non. » Dans l’ensemble, dit-elle, « c’était OK, ils voyaient bien que je ne jouissais pas à ça, mais ils n’en faisaient pas un plat. Je ne sais pas s’ils s’en sacraient… » Toujours est-il que « ça ne les remettait pas en question ».

Jusqu’à ce que ça dérange, justement. « En vieillissant, oui, j’ai vu que ça en dérangeait certains. » Un en particulier, son ex-copain, pour ne pas le nommer, au tournant de la quarantaine. « Il me faisait des commentaires du genre : il faut que tu connaisses ton corps, se souvient-elle. Il disait que je n’avais pas besoin de lui, que lui, il était fonctionnel… »

À sa décharge, Laurence, de son côté, ne s’est jamais trop prononcée non plus. « Je n’ai jamais possédé [le sujet], pour dire : moi, c’est comme ça. [….] Je ne me suis jamais affirmée. Absolument pas… », concède-t-elle.

Un cancer du sein plus tard, et tous les traitements qui vont avec, elle se retrouve avec la libido à plat. « Et tout s’est mis à mal aller… »

La relation n’y survit pas. Et c’est à la suite de cette rupture que tout va changer.

En quoi ? « Je l’ai quitté et j’ai réalisé que pour moi, l’aspect sexuel était important, et qu’il fallait que je sois heureuse là-dedans. »

Fin quarantaine, tout déboule. Elle retrouve un ami du cégep et leur [seule et unique] nuit ensemble change sa vie. « Il m’a dit : “Faut que je te le dise, je ne bande plus”, raconte-t-elle. Et moi : “Je m’en contrecrisse !” », éclate-t-elle de rire.

C’est une révélation : « Ça a été merveilleux, super cool, tendre et génial. »

Son gros problème, mon gros problème, c’était complètement accessoire !

Laurence, 52 ans

Et oui, si vous voulez tout savoir, ils ont joui tous les deux (oui, on a demandé).

Verdict ? « C’est fini, c’est dit ! Il n’y a pas eu de suite, précise-t-elle, mais ça m’a marquée parce que je l’ai dit ! Parce que lui aussi m’a dit quelque chose d’étrange et gênant. Et après, ça n’était plus sur la table. On n’avait plus à négocier ça ! »

Depuis, toute sa sexualité en a profité. « Ma sexualité est devenue, oui, positive. C’est beaucoup plus sain. Je ne sens plus que j’ai quelque chose à régler ou à comprendre. […] Il y a vraiment eu pour moi un avant et un après ! »

L’histoire ne s’arrête pas là. C’est que quelques mois plus tard, elle a rencontré son conjoint actuel. Et pour la toute première fois de sa vie, Laurence a osé : « J’ai fait une femme de moi et je lui ai dit que la pénétration ne m’intéressait pas tant que ça. […] Et il se trouve que lui, ça ne le fait pas jouir non plus ! », sourit-elle franchement.

« On s’est découvert une compatibilité ! » Mieux : « Ça a ouvert la communication, offert un bien-être et une sécurité ! »

Finies les « games », et surtout la « fatigue », cette désagréable impression de « se sentir obligée de jouir éventuellement ». « Je trouvais ça fatigant de m’occuper de tout, de moi-même et de l’ego du partenaire ! »

Désormais, Laurence le sait : « Il faut dire ces choses-là, au moins à soi-même et à son partenaire, pour voir à quel point c’est libérateur ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat