Candauquoi ? Même notre autocorrecteur ne sait pas. Entretien avec un homme aux fantasmes particuliers : il prend son pied à partager.

« Peut-être qu’on a une sexualité un peu particulière ? Ou peut-être pas tant que ça ? », commence notre interlocuteur, qui n’a pas tant exploité ce fantasme qu’il l’a intellectualisé. Chercheur de son état, il a longuement cherché à se comprendre, justement. Et son objectif ici est très clair : « montrer que les gens ordinaires ont aussi des désirs particuliers ».

En l’occurrence : imaginer et observer sa partenaire avec un autre.

Martin*, la jeune cinquantaine, nous a donné rendez-vous à deux pas de La Presse, avec sa conjointe. Et même si on voit là le signe d’un couple visiblement uni, on se doit de leur rappeler gentiment que malheureusement, nos entretiens se font toujours en tête à tête. Pas de souci, monsieur a choisi une table à l’écart, tandis que madame travaille plus loin sur son ordi.

Sa sexualité a commencé sur une note tout ce qu’il y a de plus traditionnel, débute-t-il. À 15 ans, Martin a une première copine, une relation « exclusive » qui s’étire sur cinq ans. « C’était très beau et on était très amoureux. »

Très amoureux, et sans doute un peu « naïfs », ajoute-t-il. Ils rêvaient de projets, de voyages, même d’enfants. « Dans la naïveté de l’adolescence et de l’amour. » Or, sa promise l’a trompé, et Martin se souvient de l’avoir pris « très, très, très » difficilement. « J’ai été maladivement jaloux pendant un an. Ç’a été très long à m’en remettre… »

Un détail loin d’être anodin, auquel il reviendra tout le long de l’entretien.

Début vingtaine, Martin vit de nouvelles relations. Une, notable, avec qui il a une « très, très » belle sexualité, « très satisfaisante » et « sans extravagance », précise-t-il, avec qui il ressent toutefois cette première « bouffée », ou ce fantasme nouveau : « j’ai été habité par une excitation sexuelle, à penser qu’elle pourrait avoir une relation avec un autre gars ».

Avec un autre ? « Ce n’était pas réfléchi », dit-il, mais avec le recul, et un soupçon de « psycho-pop », Martin se questionne. « Ma jalousie est partie […], mais j’ai tellement eu mal, est-ce que j’ai retourné cette douleur-là ? »

À l’époque, ce fantasme lui fait un peu peur.

C’est comme être sur une corde raide : est-ce que je suis capable de vivre avec ça ?

Martin, début cinquantaine

Il n’a pas trop le temps d’y penser. À la suite de cette relation, Martin rencontre une nouvelle femme, la mère de ses enfants cette fois, avec qui il reste 20 ans. Au lit ? « Pas d’extravagances, répète-t-il, mais une belle sexualité de couple, sans écart. Aucune tromperie. »

Une histoire en « pente douce » avec les années, malgré un certain regain vers la fin, quand Martin se confie enfin. « Je me suis ouvert sur mes désirs d’extravagances sexuelles, ce qui m’alimentait, l’imaginer, elle, avec un autre gars », se souvient-il. Madame est « très » surprise, sans être nécessairement « choquée ». Ils finissent même par vivre une aventure à quatre, qui laisse Martin comblé.

Mais attention : pas exactement par l’acte, très « mécanique », mais plutôt les lendemains, franchement heureux à ses yeux. « On était super complices ! Ça m’a comblé dans mon délire ! »

L’aventure ne se reproduit pas. D’ailleurs, et en résumé, Martin, mi-quarantaine, finit par se séparer. Célibataire, pour une rare fois dans sa vie, il rêve tout à coup de folies. « J’ai envie d’aventures, de m’éclater ! » Ça n’arrive pas, puisqu’il tombe à nouveau amoureux, d’une femme malheureusement peu intéressée à explorer.

Elle le trouve d’ailleurs un peu « weird » avec ses fantasmes, « borderline dérangé », relate-t-il. Du coup, Martin se questionne et fait ses recherches pour se rassurer. Merci l’internet, il découvre que son truc a un nom, le candaulisme, donc, et que plusieurs le partagent : des hommes, des femmes, des couples, « pour certains, c’est un mode de vie ! ».

C’était écrit, la relation ne dure pas, et Martin finit par rencontrer sa copine actuelle, une collègue chercheuse comme lui. Nous y voici. Cette fois-ci, coup de théâtre. « Elle a le même fantasme miroir, s’émerveille-t-il, savoir son chum avec une autre fille, ou devant elle ! »

Je me sens compris ! Complice ! Je peux en parler hyper librement, sans être jugé !

Martin, début cinquantaine

Un bémol : madame n’est pas prête à passer à l’acte et vivre ses fantasmes à elle (en clair : partager Martin), mais ouverte à l’idée de vivre ceux de Martin (en clair : être partagée, elle). Mais peu importe, Martin n’y voit que du bien : « Elle me comprend ! »

À noter que leur sexualité de couple est par ailleurs « presque banale », souligne-t-il tout sourire. « Mais ça nous satisfait parce qu’on a des fantasmes, et la chance de les alimenter ! »

Cela a d’ailleurs pris deux grosses années avant qu’ils passent à l’acte, justement. « Je craignais mon propre fantasme, intellectualise-t-il toujours. Encore aujourd’hui, je me pose la question : comment je vais vivre avec ça ? Est-ce que je vais être jaloux ? […] Il y a une exaltation et une douleur en même temps, comme sauter en parachute. Peut-être ai-je besoin de sauter dans le vide ? »

Toujours est-il qu’ils ont fini, oui, par faire le saut, avec un type trouvé en ligne, pour faire un « massage » à madame. « J’ai l’impression que c’est mon combat contre ma jalousie maladive. […] On est supposés être exclusifs, là on est anarchistes, pas comme tout le monde. On ose, on va au-delà de nous-mêmes. […] Je pense que ça fait partie de ma personnalité : je suis chercheur, j’ai un plaisir à explorer. »

Ils ont même récidivé deux ou trois fois, et si l’aventure en soi n’a pas été forcément si exaltante, c’est surtout dans la « complicité » du couple que Martin finit par trouver son compte.

Et disons qu’ils n’ont sans doute pas fini d’être complices. Nos amoureux se sont mis dernièrement à se filmer et ont vendu le tout à un site de porno féministe, glisse-t-il, à la toute fin de l’entretien. Pourquoi ? « Pour l’excitation ! Le thrill ! Faire quelque chose de particulier. […] C’est notre projet commun. Il n’y a pas de projet de couple plus intime que ça. »

Son but ? « Montrer la vraie sexualité des gens, dit-il. Ça revient à ça : en finir avec les tabous, les craintes de performance, montrer la vraie sexualité. »

Un peu comme ce qu’il fait en ce moment, en se racontant à nous, comprend-on. « Peut-être qu’il y a aussi un désir exhibitionniste ? Il y a quelque chose de libérateur à s’assumer… » Ça aussi, on l’avait compris.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat