Après une vingtaine d’années de recherche, un ouragan majeur et une pandémie, le rêve hôtelier de l’entrepreneur et philanthrope québécois Daniel Langlois prend officiellement son envol. En exploitant dans les Caraïbes un hôtel de luxe autosuffisant, respectueux de l’environnement et de la communauté, l’homme d’affaires souhaite poser les bases d’un modèle d’avenir pour le tourisme. Entrevue.

Perché au sommet d’une crête montagneuse dans le sud de la Dominique, près de la baie de Soufrière, le Coulibri Ridge Resort est l’endroit où Daniel Langlois passe désormais une bonne partie de son temps.

Depuis que sa compagne Dominique Marchand et lui ont mis les pieds pour la première fois, en 1997, dans cette petite île méconnue, située entre la Guadeloupe et la Martinique, ils travaillent à y développer un hôtel ayant la plus faible empreinte possible sur son environnement. Un projet « extrême », reconnaît M. Langlois, mais à la mesure de cet entrepreneur qui, alors qu’il était nommé Personnalité de l’année de La Presse en 1995, déclarait rêver de posséder au moins une montagne qu’il protégerait de tout et de tous.

Fruit d’un long travail de réflexion et d’expérimentation, le Coulibri Ridge Resort a accueilli ses premiers clients l’an dernier, sans tambour ni trompette. Une façon de mettre à l’épreuve l’autosuffisance en électricité et en eau potable de ce complexe hôtelier de 14 suites. « On ne sait jamais tant qu’on ne l’a pas testé dans la réalité, mais ç’a été concluant, assure Daniel Langlois en entrevue téléphonique. On a dû faire quelques petits ajustements technologiques, mais très peu. » Ainsi, l’hôtel, qui figure parmi les lauréats des 16es Grands Prix du design, a pu ouvrir officiellement ses portes le 22 octobre dernier, attirant l’attention de médias internationaux.

  • Certaines suites ont accès à une piscine privée qui offre une vue imprenable sur la vallée des sources sulfureuses.

    PHOTO FOURNIE PAR COULIBRI RIDGE RESORT

    Certaines suites ont accès à une piscine privée qui offre une vue imprenable sur la vallée des sources sulfureuses.

  • Le design d’intérieur a été réalisé par Dominique Marchand, qui est aussi la gestionnaire du complexe.

    PHOTO FOURNIE PAR COULIBRI RIDGE RESORT

    Le design d’intérieur a été réalisé par Dominique Marchand, qui est aussi la gestionnaire du complexe.

  • L’espace spa où sont prodigués des soins de massothérapie.

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    L’espace spa où sont prodigués des soins de massothérapie.

  • Le Coulibri Ridge Resort est membre de Beyond Green, un réseau mondial regroupant les hôtels exploités selon les critères de développement durable.

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    Le Coulibri Ridge Resort est membre de Beyond Green, un réseau mondial regroupant les hôtels exploités selon les critères de développement durable.

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Établi sur un terrain de 285 acres, le Coulibri Ridge Resort est un ensemble de villas de pierres regroupant des suites d’une superficie de 600 pi⁠2 à 1000 pi⁠2, réparties en quatre catégories de chambres (à partir de 700 $ US la nuitée). On y trouve notamment une salle de sport, deux salles de réunion, du WiFi gratuit, ainsi qu’une ferme où sont cultivés une partie des aliments servis dans les deux restaurants.

Construit hors des limites du réseau électrique, le complexe produit l’entièreté de l’énergie nécessaire à son fonctionnement, voire plus (150 kWh au total), à l’aide de panneaux solaires, installés sur le toit de chaque bâtiment, ainsi que de deux éoliennes à axe vertical. Il récolte aussi l’eau de pluie qui est filtrée, puis assainie par UV et stockée dans des réservoirs logés pour la plupart sous terre. Cette eau est ensuite utilisée pour la consommation des invités, la cuisine, la buanderie, l’agriculture et l’alimentation des six piscines à débordement… chauffées !

PHOTO FOURNIE PAR DANIEL LANGLOIS

L’entrepreneur Daniel Langlois, au Coulibri Ridge Resort

Bien vivre, hors réseau

« Le projet ici, c’est d’être non connecté sur un réseau et d’arriver à plus que survivre, d’arriver à bien vivre, à très bien vivre même », souligne Daniel Langlois. C’est pour pousser ce concept plus loin que son projet de recherche en est devenu un d’hôtel, de luxe par surcroît, avec la consommation énergétique que cela implique.

Je l’ai développé comme un village, parce que ce qui m’intéressait en parallèle, c’était comment de petites communautés, dans les tropiques, pourraient être autosuffisantes.

Daniel Langlois

L’hôtel possède une autonomie énergétique de trois jours, advenant une carence de soleil. Pour accumuler l’eau nécessaire à ses activités, il ferme deux mois par année, au plus fort de la saison des pluies.

Cette idée ambitieuse, qui l’était encore plus à la fin des années 1990, a germé dans l’esprit de Daniel Langlois alors qu’il s’apprêtait à quitter Softimage, l’entreprise de logiciels 3D qu’il a fondée et vendue à Microsoft en 1994 pour environ 200 millions.

Je voyageais énormément. Beaucoup de nos partenaires et clients étaient dans les tropiques. On logeait dans des hôtels de bonne qualité, avec accès à l’eau et à l’électricité [souvent produite avec du diesel], alors que les gens qui y travaillaient, localement, n’avaient presque rien. Cette dichotomie-là n’avait pas de sens.

Daniel Langlois

Ainsi, en 1997, alors qu’il mettait sur pied la Fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie, ce passionné de design et d’architecture trouvait en l’île de la Dominique le territoire idéal pour mener ses expérimentations. Il cherchait avant tout un terrain où l’environnement serait « complètement présent en tout temps, pour que tu te rendes compte que quand tu vis correctement, tu peux le protéger ».

C’est ce qu’il a trouvé dans cette île très montagneuse où vivent 74 000 personnes. La Dominique, pour lui, ce sont aussi les Dominiquais. Certains ont été formés pour travailler à l’hôtel, d’autres pour l’ériger. « L’hôtel a été entièrement construit en entraînant des employés de l’île. Ça a étendu la durée de construction du projet de probablement quatre à cinq ans ! », lance M. Langlois.

L’ouragan Maria et la résilience

Puis, est arrivé l’ouragan Maria, en 2017, quelques mois avant l’ouverture prévue. Si l’hôtel, construit pour résister à de telles catastrophes, n’a subi aucun dommage, ce n’est pas le cas des villages les plus proches (Soufrière, Gallion et Scotts Head), qui ont été détruits. Ses habitants y ont vécu sans électricité pendant un an et demi. Encore plus convaincu de l’importance de miser sur le développement d’infrastructures résilientes, Daniel Langlois a mis en veilleuse son projet hôtelier et créé le programme REZDM, au sein de sa fondation, auquel il consacre encore aujourd’hui la majeure partie de son temps.

Pour lui, l’avenir du tourisme passe inévitablement par des projets comme le Coulibri Ridge. Après une visite de l’hôtel en décembre 2021, le premier ministre de la Dominique, Roosevelt Skerrit, a d’ailleurs déclaré sur Twitter que « ce complexe super luxueux apporte une nouvelle dimension à l’industrie hôtelière de la Dominique ».

Je ne peux plus voyager sans chercher des endroits qui au moins essaient. Il y a beaucoup d’écoblanchiment, mais il y a des hôtels qui cherchent à réduire leur empreinte.

Daniel Langlois

L’entrepreneur se dit aussi conscient que la clientèle qu’il vise n’est pas nécessairement celle qui cherche à réduire la sienne. Se rendre au Coulibri Ridge en jet privé, ne serait-ce pas rater la cible ? « C’est sûr que la clientèle première pour cet hôtel n’a pas de problème à voyager en jet privé. On essaie de décourager ce genre de voyagement parce qu’il y a des façons de se rendre autrement. Mais ces gens-là viennent ici et repartent avec un niveau d’éducation différent. » Il précise cependant que la majorité des clients de l’hôtel utilisent des vols réguliers.

Il caresse par ailleurs le désir de rendre cette « place de réflexion » accessible au plus grand nombre. Surtout, il veut montrer que c’est possible. Avec les coûts d’électricité élevés en Dominique, il estime qu’il ne lui faudra que cinq ans pour récupérer l’argent supplémentaire investi pour la production d’énergie renouvelable et la collecte d’eau.

Si, comme voyageur, il cherche désormais des hôtels qui s’inscrivent dans cette démarche, c’est « pour qu’un jour, on arrive à une balance, où il y aura assez de ces hôtels qu’on aura encouragés pour que tout le monde veuille faire la même chose ».

Consultez le site du Coulibri Ridge Resort