Victime de sa mauvaise réputation, le centre-ville de la capitale jamaïcaine se refait une beauté.

(Kingston) Dimanche midi au centre-ville de Kingston. Sous le soleil plombant, une jeune guide fait son show pour un groupe de touristes. Sa visite met l’accent sur les œuvres murales « instagrammables » qui ont poussé depuis peu dans le quartier. On prend des photos, tandis qu’elle hurle dans son micro pour couvrir le sound system qui joue à tue-tête un peu plus loin.

Il y a encore 10 ans, cette scène n’aurait tout simplement pas été possible. Le cœur de la capitale jamaïcaine avait la réputation d’être une zone à risque et rares étaient les touristes qui osaient s’y aventurer.

C’est encore le cas, jusqu’à un certain point.

Le taux de criminalité de « downtown Kingston » demeure plus élevé que la moyenne antillaise. Le paysage urbain est fortement décrépit et la pauvreté, encore très visible dans cette partie sud de la ville, qui jouxte le bord de mer.

Mais la tendance est en train de s’inverser.

Depuis 2003, la municipalité multiplie les actions pour freiner le déclin du quartier, en attirant les investisseurs et en finançant les projets de « redéveloppement ». Une décision politique salutaire, après des années de laisser-faire, au cours desquelles le quartier New Kingston, situé plus au nord, s’est imposé comme le nouveau centre des affaires.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Les locaux de Kingston Creative

Avec ses visites thématiques axées sur la culture, Kingston Creative est un des rouages de cette revitalisation. L’OSBL, fondé en 2017, propose une nouvelle approche pour la renaissance du centre-ville, stimulant à la fois le tourisme, la vie communautaire, les partenariats d’affaires et l’art local – d’où ces œuvres murales en plein cœur du quartier.

Son dynamisme a permis à la capitale de remporter le prix de la « meilleure destination créative au monde » en 2023.

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La virée des œuvres murales

Mais Kingston Creative n’est que la partie visible de l’iceberg.

Plus loin dans le secteur, des rues ont été réasphaltées et des structures, rénovées. Des bâtiments ont été construits pour accueillir de nouveaux commerces. Des restaurants sont sortis de terre. Un trottoir côtier, large de 4 m, fait désormais le lien entre la plage et les bureaux du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qui vient de déménager rue Port Royal, au bord de la mer.

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L’hôtel Rok, de la chaîne Hilton

Signe des temps : la chaîne Hilton s’est installée dans l’imposant Rok, un hôtel de 12 étages qui appelle clairement au retour des touristes dans le quartier.

« Évidemment, il est mieux de ne pas se promener ici avec des chaînes en or autour du cou. Comme dans toutes les grandes villes, il faut avoir un peu de gros bon sens », souligne Christopher Wright, directeur du développement des affaires pour le Conseil du tourisme jamaïcain à Miami.

« Mais je peux vous dire que le gouvernement a mis beaucoup d’efforts pour revitaliser cette zone. »

Pour nous, le calcul est simple : plus il y aura de l’argent et de nouvelles initiatives, plus il y aura des touristes et moins il y aura de criminalité.

Christopher Wright, directeur du développement des affaires pour le Conseil du tourisme jamaïcain à Miami

Entre embourgeoisement et protection du patrimoine

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À vendre : entrepôt d’une ancienne distillerie, dans Church Street

Cette philosophie ne vient pas sans de potentiels dommages collatéraux.

Certains s’inquiètent déjà de l’embourgeoisement du quartier. Sur le réseau X, un journaliste local enjoignait récemment aux habitants de Kingston d’acquérir une propriété dans le quartier, avant que celles-ci ne soient hors de prix. Si la tendance se maintient, la « rénoviction » pourrait devenir un enjeu.

D’autant plus dangereux que downtown Kingston fourmille d’un vrai patrimoine bâti, témoin de l’époque coloniale et du passé flibustier de l’île. Dans Church Street, l’ancien entrepôt d’une distillerie de rhum était d’ailleurs à vendre lors de notre visite. Y sera-t-il encore la prochaine fois ?

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Un quartier de contrastes. À downtown Kingston, le récent côtoie le décrépit.

On n’en est pas encore là. Mais la transition a manifestement commencé. Et certaines agences de voyages n’ont pas attendu la fin du processus pour faire la promotion du quartier.

C’est le cas de Tash Johnson, rencontrée par pur hasard lors de notre visite guidée. Propriétaire d’une « entreprise de gestion de destination » située à Tampa, aux États-Unis, cette fille d’un célèbre reggaeman (Black Scorpio) propose déjà des visites du quartier à ses clients.

« Est-ce que c’est une destination difficile à vendre ? Il faut se concentrer sur le positif, conclut-elle. Dowtown Kingston n’est pas le secteur le plus chic, mais c’est aussi le cœur de la ville. Il a sa propre beauté et possède un héritage historique indéniable. C’est important, vous savez. Notre culture ne se résume pas seulement à des plages… »

Cinq lieux à visiter

Wray’s Tavern

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Wray’s Tavern, le plus vieux débit de boisson de Kingston

Fondée en 1825, cette taverne est le plus vieux débit de boisson de Kingston. L’établissement s’est d’abord appelé Shakespeare Tavern, en raison peut-être de son voisin immédiat : l’historique Ward Theater (en cours de rénovation). L’endroit est pittoresque, et encore plus avec son arrière-cour, où l’on peut parier sur les courses de chevaux.

Tourisme culturel

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Une visite guidée des œuvres murales du quartier. À droite, la guide, Jasmine Wilson.

Elles parlent de musique, d’histoire, de culture. Elles sont assez récentes et donnent au quartier le jet de couleurs qui lui manquait. Kingston Creative propose une visite guidée des œuvres murales de downtown Kingston, mais aussi un tour en autocar consacré au reggae et une vadrouille axée sur la bouffe.

Consultez le site de Kingston Creative (en anglais)

National Gallery of Jamaica

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La National Gallery of Jamaica

Fondée en 1974, la Galerie nationale de la Jamaïque est le plus grand et le plus vieux musée des Caraïbes anglophones. Elle possède une intéressante collection d’art jamaïcain classique, moderne et contemporain : John Pringle, A. D. Scott, Aaaron et Marjorie Matalon…

Consultez le site de la National Gallery of Jamaica (en anglais)

Promenade en bord de mer

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La mer borde le centre-ville.

On a tendance à l’oublier, mais downtown Kingston fait face à la mer. On peut se balader au bord de l’eau, en observant les pêcheurs et les amoureux venus chercher un peu de quiétude loin du vacarme des voitures. Une bulle chargée d’histoire, puisque Port Royal (ancien nom de Kingston) fut aussi un carrefour pour les pirates du XVIIsiècle, Henry Morgan et Barbe Noire en tête.

Le marché

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Vendeuses de légumes au marché de Kingston

C’est plus chaud, mais quel spectacle ! Le marché de Kingston est un tourbillon de couleurs, de vendeurs et de vendeuses, de fringues, de fruits, de crieurs et de bonimenteurs, de magouilleurs et pushers de ganja, avec en prime des églises en plein air, où Jeezusss est interpellé à pleins poumons. Le cœur du cœur de la ville. Un incontournable. Marchez lentement et surveillez votre porte-monnaie.