La grandiose œuvre murale en hommage à l’artiste a été inaugurée lundi au cœur de Montréal. Elle prend déjà sa place dans le paysage de la ville. Nous avons été témoins de sa création.

Si vous êtes entré à Montréal en provenance de la Rive-Sud dans le dernier mois, vous avez peut-être noté qu’il y avait quelque chose de différent dans le paysage. Alors que la nature vire au gris, Montréal s’est doté d’une touche de couleur qui fait du bien. L’œuvre murale de Françoise Sullivan est une courtepointe colorée qui se voit de loin.

Il y avait beaucoup de monde sur un petit bout de la rue Saint-Christophe qui fait face à la murale Damiers 2023. Son adresse officielle : 801, Sainte-Catherine Est, mais elle appartient maintenant à tous les passants qui la voient de près ou de loin, avec ses 108 mètres de hauteur, ce qui en fait la plus imposante de Montréal. Elle comprend 33 carrés de couleur, sur ce mur de béton.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Françoise Sullivan devant la nouvelle murale

Françoise Sullivan était là, émue des nombreux hommages qu’on lui a rendus, mais aussi bien impressionnée du travail fait par les muralistes de MU. « Est-ce que c’est épeurant d’être en haut ? », a-t-elle demandé à Julien Sicre et Arnaud Grégoire, les chefs de chantier. Les deux muralistes ont avoué que oui, devant l’artiste qui a salué leur bravoure. « Vous êtes brave aussi », a spontanément répondu Arnaud Grégoire, dans une jolie complicité.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

« Je n’avais pas mesuré l’impact sur la ville. C’est immense », confie Julien Sicre, responsable de la signature. À sa droite, son collègue muraliste Arnaud Grégoire.

L’œuvre

La murale fait partie d’une collection amorcée par MU en 2010 qui rend hommage aux bâtisseurs culturels montréalais, toutes disciplines artistiques confondues – on y a notamment célébré Michel Rabagliati, Yannick Nézet-Séguin et Alanis Obomsawin. Deux œuvres de cette collection sont immenses. Celle consacrée à Jean Paul Riopelle – L’art magnétique, réalisée par Marc Séguin, rue Milton près de l’Université McGill. Et l’autre, la Tower of Song, qui représente Leonard Cohen en plein centre-ville. C’est maintenant une œuvre phare à Montréal.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Il ne faut pas avoir froid aux yeux pour travailler sur une œuvre murale de cette dimension.

Les démarches

On s’en doute, on ne débarque pas du jour au lendemain pour peindre une telle superficie. Un projet de cette ampleur demande patience et doigté.

Au moment de la réalisation de la murale hommage à Riopelle, l’an dernier, les gens de MU ont sollicité la mairesse Valérie Plante qui a accordé son soutien au projet Sullivan quelques mois plus tard, alors qu’elle était assise à la même table que Françoise Sullivan, au bal du Musée des beaux-arts. Restait à trouver un mur.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L’artiste Françoise Sullivan et la mairesse Valérie Plante

J’aspire à ce que l’on reconnaisse Montréal comme la ville aux 100 clochers, mais aussi la ville des 100 murales. Peut-être même des 1000 murales !

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Profession : Chercheur de murs

« Je suis un wall hunter », affirme Michel de la Chenelière, président du comité de développement de MU. L’hôtel de la Place Dupuis appartient au groupe Hyatt, mais les discussions se sont faites avec les propriétaires de cet établissement qui vivent maintenant à Montréal.

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Le mur a 300 pieds de haut.

300 000 $

Le financement a été compliqué, admet la directrice générale de MU, Elizabeth-Anne Doyle. Il n’est d’ailleurs pas terminé. Le projet total coûtera 300 000 $, fournis par la Ville, l’arrondissement de Ville-Marie, Tourisme Montréal, notamment.

L’artiste

Françoise Sullivan fait partie des signataires du manifeste Refus global et des fondateurs du mouvement de l’automatisme, aux côtés de Borduas et de Riopelle. Elle a une longue carrière en arts visuels et a eu une carrière de danseuse et de chorégraphe.

MU souhaite projeter des images vidéo et des photos de performances de Françoise Sullivan dans une phase subséquente de la murale, ce qui serait une première pour l’organisme.

Les cadres de couleurs deviendraient des écrans.

Le lieu

« On cherchait un endroit qui ait du sens pour Françoise », dit Elizabeth-Anne Doyle. On a choisi ce lieu qui est proche de l’École des beaux-arts où elle a étudié.

Montréal est en train de devenir une destination de murales, comme ville

Elizabeth-Ann Doyle, directrice générale et artistique de MU

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

MU fait des murales depuis 2007. Elle en a une collection de 200 depuis sa création.

L’impact

L’organisme MU loge dans les habitations Jeanne-Mance, pas très loin de la Place Dupuis. « Nous sommes nous-mêmes des résidants du Quartier latin. Nous vivons ici, nous consommons ici. Nous aussi, depuis la pandémie, sommes très interpellés par la manière dont le quartier se dégrade et la situation de personnes vulnérables qui sont autour d’ici », dit Elizabeth-Ann Doyle. MU pense que ça peut contribuer à la revitalisation.

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L’équipe de Mu a isolé une partie d’une œuvre de Françoise Sullivan, son Damier numéro six. Sur le mur, elle est devenue une nouvelle œuvre, avec ses changements de couleurs, de lignes et de proportions.

La mise en couleur a pris deux semaines, à partir de la maquette, pour peindre les formes sur le mur. Il y a eu des changements de couleur une fois les rectangles peints sur le mur, souvent commandés par Françoise Sullivan elle-même, qui a suivi l’évolution des travaux.

« Les couleurs se parlent dans les abstractions », explique Corinne Lachance, responsable de la production, pour MU. L’agencement a inévitablement dû être ajusté. Par exemple, des carrés sont laissés au béton sur le mur. Dans les toiles de Françoise Sulllivan, ces carrés sont gris pâle. Mais le béton est plus foncé que les tableaux, ce qui demande de revoir certaines des couleurs, une fois qu’elles sont déjà appliquées. Le soleil et la luminosité changent aussi les perspectives. Le même rose peut avoir deux impressions.

Histoire de couleur
  • MU n’a pas fait le décompte final, mais estime qu’il aura fallu plus de 300 gallons de peinture pour réaliser la murale.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    MU n’a pas fait le décompte final, mais estime qu’il aura fallu plus de 300 gallons de peinture pour réaliser la murale.

  • Le damier a 10 couleurs de base différentes, mais plus d’une vingtaine avec toutes les nuances et tonalités.

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    Le damier a 10 couleurs de base différentes, mais plus d’une vingtaine avec toutes les nuances et tonalités.

  • Il y a eu plusieurs changements de couleur : le vert final de la murale est le huitième vert qui a été utilisé.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Il y a eu plusieurs changements de couleur : le vert final de la murale est le huitième vert qui a été utilisé.

  • Un des défis artistiques : reproduire les coups de pinceau qui se trouvent sur l’œuvre originale, mais à très grande échelle.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Un des défis artistiques : reproduire les coups de pinceau qui se trouvent sur l’œuvre originale, mais à très grande échelle.

  • L’équipe a réussi à terminer la murale dans les temps : deux mois de travail, en incluant les installations techniques.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    L’équipe a réussi à terminer la murale dans les temps : deux mois de travail, en incluant les installations techniques.

  • Dix artistes ont participé à la réalisation de la murale, six en même temps sur le projet, durant un mois. Il a fallu faire des pauses parfois, par jour de grandes pluies ou de grands vents.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Dix artistes ont participé à la réalisation de la murale, six en même temps sur le projet, durant un mois. Il a fallu faire des pauses parfois, par jour de grandes pluies ou de grands vents.

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Il y avait d’ailleurs un rectangle rose que Françoise Sullivan trouvait trop éteint une fois sur le mur. Elle a demandé qu’il soit changé.

Tout peintre n’est pas muraliste. Être muraliste est un métier à part entière. Ça prend d’autres types de connaissances, d’autres types de compétences. La compréhension de l’espace. Être capable de comprendre des choses abstraites dans sa tête, de transposer physiquement les échelles.

Elizabeth-Ann Doyle, directrice générale et artistique de MU

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« La vue est magnifique. Tu es au milieu de la ville, dans un silence, dans ta nacelle. C’est une perspective sur la ville qui est vraiment différente », dit Corinne Lachance, responsable de la production pour MU.

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  • 17 500 pieds carrés
    Dimension de la murale