« Si je pouvais étudier à Montréal, je le ferais ! »

La saison des inscriptions au cégep approche et mon neveu réfléchit à ses options. Il restera sans doute dans sa région, pas trop loin de la maison. La métropole l’attire, mais elle est impossible à concilier avec un budget de jeune étudiant…

Mon cœur s’est brisé en l’entendant dire ça. C’est que je n’avais aucun contre-argument à lui offrir. Ces temps-ci, je vois passer des 3 et demie dans des demi-sous-sols à plus de 1300 $ par mois. Il a beau travailler depuis longtemps, avoir épargné des sous et pouvoir compter sur une famille qui a mis de l’argent de côté pour ses études supérieures, mon neveu sait qu’il ne serait pas raisonnable de déménager à Montréal.

Pour d’autres, ce n’est même pas une option envisageable.

À son âge, j’avais bien moins de moyens que lui, pourtant je faisais mes boîtes pour m’établir dans la grande ville. À 17 ans, je partageais un loyer de 600 $ avec deux colocs, je mangeais beaucoup de nouilles au thon et j’étais heureuse. Les prêts et bourses étaient mes meilleurs amis. La débrouillardise, elle, ma fidèle compagne. Ce n’était pas parfait, mais je pouvais faire de cette ville la mienne en échange de quelques compromis. (De toute façon, quelle ado aime porter des bottes d’hiver ?)

Je voudrais bien dire à mon neveu qu’avec un peu de créativité budgétaire, les cégeps de la métropole lui seraient aussi accessibles, mais dans les faits, c’est beaucoup plus compliqué que ça…

Dans son enquête ECLAIR, l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) indique « qu’en plus d’avoir subi une hausse de loyer de 20 % en deux ans, près de 50 % des 171 200 locataires étudiants à Montréal ont un revenu annuel inférieur à 20 000 $ ».

Laurent Levesque, cofondateur et directeur général de l’UTILE, s’est montré navré, mais nullement surpris par la situation familiale que je lui ai décrite : « Ça fait quelques années qu’on souligne que les coûts du logement sont devenus un plus gros frein à l’éducation supérieure que les droits de scolarité… Ça augmente partout, mais particulièrement à Montréal et dans une poignée d’autres villes comme Gatineau. On voit que les étudiants travaillent plus, s’endettent plus, habitent plus loin de leur campus et s’entassent plus nombreux dans de plus petits logements. »

Sur ce plan, l’enquête ECLAIR révèle que 7 % des studios et 8 % des 2 et demie dans lesquels vivent les répondants sont occupés par trois colocataires ou plus. Ça fait beaucoup de proximité… Et si j’écris au sujet de Montréal, il faut savoir que bien d’autres villes étudiantes composent avec de sérieux problèmes. À Rimouski, par exemple, on manque carrément de logements, m’apprend Laurent Levesque.

L’UTILE travaille donc sur une solution : le logement étudiant à but non lucratif. L’organisation en compte déjà 600 (construits ou en voie de l’être) à Montréal, Québec et Trois-Rivières. Plusieurs projets sont en développement dans d’autres villes universitaires ; or, ses unités abordables sont très courues, et la demande surpasse l’offre.

Si Laurent Levesque reconnaît que plusieurs municipalités cherchent des solutions à la crise qui se déploie en soutenant notamment l’UTILE, il demeure convaincu qu’on doit accélérer les projets de logements étudiants.

Plusieurs familles québécoises se demandent : ‟est-ce que j’envoie mon enfant à Montréal ?” Le contexte défavorise les familles des régions, il y a un enjeu d’équité là-dedans… Ça pourrait avoir un impact sur l’éducation d’une génération.

Laurent Levesque, cofondateur et directeur général de l’UTILE

De bons programmes d’études, il y en a partout au Québec, bien entendu. Par contre, certains programmes spécialisés ne sont offerts que dans certaines villes. Et sur le plan personnel, j’ignore si j’aurais pu me trouver si vite, ailleurs… Je me souviens de ma première journée au collège de Maisonneuve. Alors que j’avais vécu un secondaire très stimulant, mais dans un milieu foncièrement homogène, je découvrais des salles de classe remplies d’excentriques, d’artistes, de gens queer, de jeunes adultes ayant envie de crier leur identité, de se déployer.

Une fête à laquelle j’avais longtemps attendu de participer.

Je pouvais enfin m’abandonner à l’anonymat propre aux grandes villes – celui qui permet aux individus de se montrer tels qu’ils sont –, tout en profitant d’un immense bassin de population pour choisir ma communauté… Je rêvais de Montréal depuis des années et je l’avais pourtant sous-estimé. Il vient d’ailleurs d’être classé au 13e rang des meilleures villes étudiantes au monde, dans le sondage annuel de l’organisation britannique Quacquarelli Symonds.

Notons qu’il est une option particulièrement intéressante pour les étudiants étrangers, puisqu’y vivre a beau coûter cher, ça demeure plus abordable que dans bien d’autres métropoles. Montréal se trouve au 135e rang du palmarès des municipalités les plus coûteuses, selon Mercer. Rien de comparable avec Paris (au 35e rang), par exemple… Mais est-il toujours accessible aux jeunes Québécois qui n’ont pas la chance d’avoir un proche pour les y héberger ?

On a de plus en plus de raisons d’en douter.

Savoir que Montréal appelle des étudiants qui devront s’en priver à cause du prix des logements m’inquiète. Que devient une ville quand elle ne peut accueillir que des jeunes plus nantis que la moyenne ? L’étroitesse des possibilités m’a toujours donné le vertige. Aujourd’hui, je pense à toute une génération la poitrine serrée. Et j’ai mal à mon Montréal.

Consultez le rapport ÉCLAIR de l’UTILE Consultez le classement des villes en fonction du coût de la vie pour 2023 Consultez le classement des meilleures villes étudiantes de Quacquarelli Symonds