« Juste avant de tout relâcher et d’entrer dans l’eau, il y a cette ultime respiration que je prends. C’est tout l’amour que je porte qui rencontre celui du territoire. »

C’est l’un des nombreux passages de Fendre les eaux que j’ai surlignés. Le livre de Vanessa Bell, paru au début du mois, m’a permis de mettre des mots sur la passion pour la baignade en eaux froides que j’ai développée grâce à La Presse, l’hiver dernier⁠1.

Ces jours-ci, j’attends avec impatience le retour du temps froid. Je m’ennuie de me glisser dans un trou creusé dans une berge glacée et d’y laisser une part de moi.

Si je parlais jusqu’à maintenant du fleuve Saint-Laurent comme d’un trou noir qui m’aspire, Vanessa Bell est parvenue à me faire comprendre d’une manière plus pragmatique (et nettement moins épeurante) ce que je vis, chaque fois que je m’y plonge.

« L’eau a cette propriété de laver nos soucis, de nous ramener à notre propre existence. Quand j’y suis, il n’existe que mon corps et les éléments. »

Et si je vous en parle aujourd’hui, c’est parce que depuis ma chronique de février dernier, vous avez été nombreux et nombreuses à m’écrire pour savoir comment vous initier à la baignade en eaux froides. Avec Fendre les eaux, la poète propose enfin un guide concret et accessible. Ça tombe bien, puisque l’automne nous permet de nous acclimater doucement aux eaux qui refroidissent. La saison de la baignade est enfin lancée…

Fendre les eaux est un ouvrage formidable pour démystifier la pratique. L’équipement nécessaire, la préparation mentale et physique, la sécurité, les bienfaits, les risques, tout y est. C’est aussi un guide pertinent pour toute personne qui cherche à approfondir son expérience. « C’est un plaidoyer pour que nous soyons toutes et tous brièvement extraordinaires », écrit Vanessa Bell.

Il n’y a effectivement rien d’ordinaire dans le fait de se baigner alors que les plages sont désertées. Pour l’autrice, il s’agit même d’un sport d’endurance : « J’ai suivi beaucoup de séminaires en ligne, m’a-t-elle expliqué. Particulièrement en Angleterre, où il y a un gros bassin de chercheuses qui veulent étudier de manière autre qu’empirique les bienfaits de l’eau froide sur le corps. En les écoutant parler, je me demandais pourquoi on ne considérait pas ça comme un sport. J’ai fait de l’ultratrail (course dans la nature sur de longues distances) et j’utilise les mêmes mécanismes pour développer la force mentale, puis les mêmes respirations. Ça demande un travail à long terme, dans les deux cas. »

Il y a maintenant cinq ans que Vanessa Bell s’engage assidûment dans son nouveau sport d’endurance et il y a, dans le récit de chacune de ses baignades, une véritable communion avec le vivant.

Elle écrit : « […] le calme qui s’installe en nous, comme si l’eau nous avait partagé une partie de sa force, est une sensation rare qui appelle à s’extraire de sa tête pour se concentrer uniquement sur son corps, son comportement, sa respiration. C’est une manière nouvelle d’approcher le vivant en étant pleinement conscients de nous-mêmes et de ce qui vit autour. Ce n’est plus nous dans la nature, c’est nous avec la nature. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Vanessa Bell

La poésie de Vanessa Bell (De rivières, Monuments) est intimement liée au territoire. On ne se surprendra pas de la savoir émue par l’accès inédit que permet la baignade en eaux froides. Mais au-delà du rapport à la nature que l’activité peut nourrir, il y a le rapport à soi.

Je suis une peureuse, mais chaque semaine d’hiver, je me rappelle que je suis assez courageuse pour patauger dans un fleuve à 0,5 °C. L’activité me permet d’apprivoiser mes craintes et de comprendre la puissance de mon corps.

« Je sais que mon corps est capable de beaucoup de choses, approuve Vanessa Bell. Avant, mon leitmotiv, c’était : “J’ai accouché, je suis capable de faire ça !” Maintenant, c’est : “Je me baigne en janvier quand il fait -40, j’ai la force de faire ça.” »

Je fais remarquer à Vanessa que dans Fendre les eaux, elle nous raconte surtout des baignades entre femmes. Y a-t-il un lien à faire avec cette idée qu’on puisse apprendre à se faire confiance ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Vanessa Bell

Il y a quelque chose de précieux dans l’idée de la transmission et, de tout temps, elle s’est beaucoup faite par les femmes. Elles sont gardiennes de l’eau ; pensons aux déesses liées à la mer, aussi féroces que non.

Vanessa Bell

La dimension féminine va cependant au-delà de la mythologie. « Dans le livre, j’aurais voulu parler davantage de préménopause et de ménopause. C’est comme si j’avais redécouvert la pratique, à ce moment-là. Je n’aime pas l’idée de repousser les limites, j’aime mieux aller à la rencontre de soi et me rappeler qu’on se régénère constamment. »

Se baigner entre femmes, selon Vanessa Bell, c’est partager des expériences relatives à notre vie physique, souvent occultée.

« Je ne cherche pas à avoir mal, mais j’accepte la dimension douloureuse de l’activité. Vivre dans un corps de femme, c’est vivre avec beaucoup de douleurs qui ne sont pas considérées. On peut reconnaître que ces douleurs sont réelles et qu’on peut composer avec elles. Quand je parle du choc thermique, j’écris qu’on peut essayer de rester une minute dans l’eau parce qu’une fois qu’on dépasse ce cap, autre chose peut nous arriver… C’est applicable dans tout. »

Tout finit par passer ou du moins se transformer.

Bien que demeure intacte mon envie de m’oublier dans les bras d’une eau glacée pour en ressortir avec une nouvelle version de moi et un respect toujours renouvelé pour la nature…

« Je me dis que c’est surtout ça, la baignade en eaux froides : une rencontre à perpétuité. »

C’est elle, la phrase que j’ai surlignée avec le plus d’admiration, dans mon exemplaire de Fendre les eaux.

1. Lisez le reportage « Méditer dans les eaux glacées »
Fendre les eaux

Fendre les eaux

Éditions de l’Homme

208 pages