« Serais-tu game de l’essayer ? »

Merde, il venait de m’avoir.

Dominick Gravel est photographe pour La Presse. L’autre jour, il a vu des hommes se baigner dans le fleuve en plein hiver pour stimuler la santé de leur corps, de leur tête et de leur cœur. Il trouvait que ça ferait un reportage intéressant. Il a terminé son courriel avec la ligne qui lui assurerait des photos absurdes : « Serais-tu game de l’essayer ? »

Comme j’ai beaucoup de difficulté à refuser un défi, j’ai accepté. Pour bien comprendre d’où je partais, sachez toutefois que je m’endors chaque soir avec un sac chauffant aux pieds… L’idée de me baigner dans une eau à 0,5 °C ne suscitait donc chez moi que de la panique.

Bien entendu, je savais que l’exercice était en vogue. J’ai entendu des sportifs parler de ses bienfaits sur leur récupération physique et j’ai des proches qui apprécient la détente qu’elle leur apporte (ça fait au moins un an que mon petit frère tente de me convaincre de prendre des douches froides)… Certains experts prônent même l’exposition au froid pour l’humeur, la concentration et le métabolisme. Parmi eux, le neuroscientifique Andrew Huberman, qui enseigne à l’Université Stanford et anime la balado The Huberman Lab⁠1.

Mais j’ai beau entendre tous ces discours, je sais que l’exercice est également dangereux. L’hypothermie, le cœur qui peut dérailler… Ce n’est pas pour tout le monde. D’ailleurs, consultez d’abord un médecin si l’idée vous intéresse.

Je sais aussi qu’on trouve une panoplie de qualités aux bains glacés qui sont réfutées par d’autres experts. Bref, il faut aborder l’activité avec une prudence extrême et un esprit critique.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Kasra Faraji

La bonne nouvelle, c’est que je suis en santé et que Kasra Faraji a la sécurité des baigneurs à cœur. Il est l’un des hommes que Dominick Gravel a rencontrés, lors de sa promenade hivernale, et c’est lui qui va m’initier… si je ne me défile pas.

Kasra fait partie d’un groupe qui se rassemble à la plage de Verdun chaque dimanche pour une saucette sans pression ni performance. Des participants plus expérimentés surveillent les autres et les guident, au besoin.

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Kasra Faraji

Quand je lui demande de quelle manière je pourrais me préparer à vivre ça, justement, Kasra me répond de prendre des douches fraîches pour outrepasser ma peur du froid.

Bon, OK. J’ai une semaine devant moi.

Je décide de plonger à la dure (sans aucune raison valable) en me glissant sous un jet d’eau glacial dès mon réveil, le lendemain. Je tiens le coup 45 secondes et je déteste chacune d’elles.

Sur les forums, en ligne, plusieurs adeptes parlent d’intention. Se rappeler pourquoi on fait ça nous aiderait apparemment à soutenir la douleur et calmer notre esprit.

Le lendemain, je me plonge sous l’eau froide en me répétant que je le fais parce que je suis curieuse. J’en ressors après deux minutes et, un quart d’heure plus tard, je réalise que mon corps est particulièrement détendu. Ma tête, elle, est parfaitement éveillée. Je me surprends à dire à voix haute : « C’est booon ! »

Évidemment, se réveiller avec une douche glacée n’est pas « booon » pour tout le monde, mais je crois en l’importance de trouver ce qui est bon pour soi et je découvre que ceci l’est peut-être pour moi.

Je recommence donc chaque matin. Parfois jusqu’à quatre minutes. Je suis la fille qui invite la pression de performance dans ses douches froides. Je suis, en d’autres mots, très lourde.

Puis, le jour J arrive.

Je rejoins Kasra Faraji dans un café. Il me présente Vadim Lapine, son mentor. Vadim a grandi en Russie, où les bains glacés relèvent de la tradition. Tous deux travaillaient dans le milieu de la santé quand, en 2021, ils se sont mis à chercher une manière de mieux composer avec le stress et la fatigue immenses qu’ils subissaient. Vadim a eu l’idée de renouer avec les baignades en eau très froide.

Grâce à lui, Kasra s’est découvert une passion. Depuis, ils font des bains de glace quelques fois par semaine, et le dimanche, ça se passe avec une vingtaine d’autres enthousiastes.

« Je tombe dans un état où je pourrais presque dormir tant je suis bien, m’explique Kasra. C’est mon happy place ! Des fois, je me concentre sur ma respiration, des fois je médite, des fois je prie… Pour moi, c’est spirituel. »

Kasra Faraji se baigne dans le froid pour se recentrer.

  • Des participants percent la glace.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Des participants percent la glace.

  • Le trou est prêt.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Le trou est prêt.

  • Quelques exercices avant de se lancer à l’eau

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    Quelques exercices avant de se lancer à l’eau

  • C’est l’heure de se mouiller.

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    C’est l’heure de se mouiller.

  • Vadim Lapine et une participante

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    Vadim Lapine et une participante

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« Et pour être capable d’intervenir si je vois un chien en détresse dans le fleuve », ajoute-t-il, trouvant le meilleur argument pour me convaincre.

Allons-y !

Six baigneurs nous rejoignent à la plage de Verdun. Les hommes déploient beaucoup d’efforts pour percer la glace tandis que je discute avec les participantes. Elles en sont à leur premier saut de l’année 2023, mais elles ont toutes deux de l’expérience. Elles me rassurent : on est bien dans l’eau (« c’est plus chaud que dehors ! ») et, surtout, on est très fières en ressortant.

Le trou est fin prêt. Vadim nous enjoints de faire une série d’exercices physiques. Les -5 °C ressentis laissent tranquillement place à la chaleur. Puis, il nous invite à nous tenir par la main et à répéter les mots « paix », « amour » et « courage ».

Vadim, avec son expérience en arts martiaux, yoga et forces armées, stimule notre esprit de corps…

C’est l’heure.

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Vadim, Kasra et une participante aident Rose-Aimée à entrer dans le fleuve.

J’enlève mes vêtements et je marche vers l’eau en répétant à voix haute « courage ». Je ne peux pas vous expliquer dans quel état je me trouve, mais ma détermination est immense. Je me découvre une force mentale que je ne soupçonnais pas.

Vadim, Kasra et une participante sont déjà dans le fleuve tandis que je m’y glisse sans hésiter. Vadim me dit : « Tu es en sécurité. »

Je souris en hochant la tête. Je le sais.

En plus, je suis… bien ?

Je respire profondément et je ne pense à rien du tout. Je sens. Je profite… Jusqu’à ce que mes mains gèlent.

(J’ai fait la gaffe de les glisser dans l’eau et de ne pas porter de mitaines. Mes doigts sont terriblement engourdis.)

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À la sortie de la baignade glacée

Un peu moins d’une minute après mon immersion, il faut que je sorte. Un participant me donne un coup de pouce, le trou étant particulièrement profond et mon état vaguement paniqué. Je marche à toute vitesse jusqu’à mon sac et ma serviette. Mon amoureux m’aide aussitôt à enlever mon maillot et à enfiler des vêtements secs parce que je n’arrive pas à bouger mes doigts.

Quelques minutes plus tard, tout revient à la normale.

Je savoure la montée d’adrénaline que je viens de vivre et l’immense détente qui s’ensuit. Je suis si calme que je voudrais dormir, mais mon corps est rempli d’une telle énergie que tout ce que je trouve à faire, en rentrant chez moi, c’est du sport.

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La fierté, après le bain glacé

En boucle, dans ma tête : « J’ai fait ça et je n’ai pas eu peur. »

Le lendemain, je prends une douche froide dès le réveil et je magasine des petits bas qui vont dans l’eau pour protéger mes orteils… Dimanche prochain, j’ai l’intention d’être à la plage de Verdun avec tout ce qu’il faut pour en profiter encore plus.

Parce que non seulement je suis game, mais je suis une future adepte.

Consultez la balado The Huberman Lab