Il y a un mois, je vous ai demandé de quoi étaient faits vos matins, ces jours-ci… J’ai reçu près de 200 réponses et ce qui m’a frappée, c’est que plusieurs parlaient de deuil amoureux.

Vous m’avez expliqué que longtemps, vous vous êtes réveillés à deux. Mais maintenant, l’aube est solitaire. Il est parti, elle est décédée.

Ce que vous avez construit pendant des années relève du souvenir. Votre routine vous le rappelle chaque jour ou presque. Parfois c’est doux, parfois ça brûle. Vous composez avec ce qui vient, avec ce qui est là.

Une lectrice m’a écrit que certains samedis lui semblent interminables. « Je me bats depuis neuf mois pour trouver un sens à ma vie. Mon compagnon est décédé en avril dernier. Je l’ai accompagné dans sa maladie et à son décès je me croyais prête pour la suite… Je vous lis, je vous écoute, je m’entraîne, je marche, je vais aux spectacles, au cinéma… JE vais. Le hic est ce JE qui se souvient du NOUS. »

L’amour comme un fantôme têtu.

« Mes matins ont déjà été pleins de relations, m’a pour sa part écrit Louise Pageau. Lever les trois enfants pour les préparer à l’école, faire le lunch de mon mari, l’embrasser sur le pas de la porte et enchaîner avec mon quotidien. Maintenant, je sirote mon café noir en lisant La Presse et je termine par les mots croisés. J’aurais tant aimé que mon mari soit encore là pour les matins de retraite, mais il est décédé. Vous êtes mon premier bonjour et parfois mon deuxième quand un ami me texte “Bonne journée” ou qu’un de mes enfants me demande “Comment vas-tu ?” J’ai apprivoisé ce silence. »

Le baiser, avant le boulot. La retraite espérée, mais jamais connue… Ces images m’ont profondément remuée.

Je nous imagine nombreux à nous bâtir une vie en nous disant que nous en profiterons une fois le bel âge venu. Les efforts, comme les becs, deviennent des automatismes. On regarde en avant, quitte à oublier ce qui nous remplit le cœur en ce moment.

Vous lire me donne envie d’amour conscient.

Je retiens d’ailleurs le conseil de Mireille Séguin : « Sois heureuse et profite des moments tendres avec ton amoureux. »

Quelques lignes plus tôt, elle m’expliquait que, « pendant 44 ans, [s]on premier bonjour était pour [s]on amoureuse qui [l]’appelait encore toute endormie dans [leur] lit. Depuis le 27 novembre dernier, jour de son décès, c’est La Presse+ qui [l’]accueille ».

Vous êtes passée d’une paire de bras à un écran. J’aimerais pouvoir faire de mes mots des étreintes.

Vous êtes aussi quelques-uns à m’avoir écrit au sujet d’une rupture. Elle vous vient en tête dès que vous vous réveillez. Elle a laissé des marques. Je les imagine plus vives, à l’approche de la Saint-Valentin…

Peut-être cherchez-vous des exemples de résilience dans la peine ?

Lysanne Pariseau a accepté que je vous relaie ses mots : « Je vis seule depuis maintenant neuf ans, après un mariage heureux de 43 ans. Pour moi en tout cas, parce que lui, il est parti. […] Je me surprends aujourd’hui à être en paix et très fière d’aimer toujours cet homme malgré sa dérobade. Il demeurera toujours un chouette père et une belle personne. La phrase de Romain Rolland m’a aidée à grandir : “Celui qu’on aime a tous les droits contre vous, même de ne plus vous aimer.” »

J’en retiens que le deuil peut être tricoté de tendresse et que la littérature peut se faire bouée quand on a le cœur dans la flotte.

D’ailleurs, ça va peut-être vous sembler contre-intuitif, mais je me réfugie dans les correspondances amoureuses quand j’ai besoin de réconfort. J’y trouve de quoi me rassurer, m’évader et identifier ce que je veux ou non dans mes relations.

Mon entourage n’en peut probablement plus de m’entendre parler de La renarde et le mal peigné… Ma bible, le recueil de correspondances tenues entre Pauline Julien et Gérald Godin. On y trouve de la passion, des déchirements et d’excellents surnoms. Le poète appelait la chanteuse sa chère âme, sa sœur, son destin, son noyau. (Il l’appelait aussi parfois sa petite conne, ce que, personnellement, j’aime beaucoup.)

Mais dernièrement, le livre qui m’a le plus touchée est The George Carlin Letters – The Permanent Courtship of Sally Wade (publié par Gallery Books en 2011). C’est un ami qui me l’a offert, connaissant mon intérêt pour les correspondances… La scénariste et autrice Sally Wade y relate ses 10 années d’union avec l’humoriste George Carlin. Les artistes se sont rencontrés dans une librairie, alors qu’ils portaient tous deux des joggings. Selon Wade, c’est son chien qui les a présentés l’un à l’autre.

Leur amour a été fulgurant.

Il y a dans ce livre des lettres douces, des cartes postales comiques et des poèmes touchants. On passe d’un coup de foudre à la mort ; du choix d’aimer à celui de laisser l’être cher derrière. D’en finir parce que la maladie finira de toute façon par nous avoir.

Dans les mots du grand Carlin, on sent toute la tendresse du monde.

Dans le récit de Sally Wade, on devine toute la douleur qui vient avec le quotidien esseulé et toute la gratitude entretenue pour une relation qui nous a tant apporté.

En refermant le livre, on se rappelle que rien ne dure toujours, mais qu’on peut décider de se garder des petits bouts d’éternité.