Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Émilie Bibeau.

Je ne suis pas passéiste ni malheureuse ni larmoyante.

Mais il m’arrive d’être nostalgique.

Même si la nostalgie se fait souvent maltraiter, dévaloriser, voire condamner, je ne peux m’empêcher de sincèrement lui souhaiter une réhabilitation.

Comme bien des gens, je me suis retrouvée dans le temps des Fêtes avec un groupe d’amis de longue date (ma « garde rapprochée », comme j’aime les appeler) à se raconter des souvenirs, tout simplement. Instant cliché et plutôt banal, me direz-vous peut-être, et vous aurez raison. Mais ce moment précieux nous a gonflé le cœur. Il nous a confirmé que le temps passe avec ses moments doux qui reviennent en alternance avec les épisodes plus difficiles. Et en ces temps où nous avons plus que jamais besoin d’être rassurés, ça l’était, rassurant.

Nous étions nostalgiques et c’était tendre.

Je l’avoue, j’aime me prélasser dans ma nostalgie. Elle me réconforte. J’aime me bercer dans ce que Marcel Proust appelle « l’édifice immense du souvenir ».

Et je la trouve plutôt utile dans ces moments où l’on se demande où est passée la joie.

Ça nous rappelle qu’elle peut toujours revenir, cette joie, car elle a déjà existé. La vie n’est, après tout, qu’un grand mouvement circulaire.

Et me voilà rassurée encore une fois.

François Cheng écrivait dans son très émouvant roman Le dit de Tianyi : « Si en dépit de tout je garde intacte en moi cette capacité d’étonnement et d’émerveillement, c’est que sans cesse je suis porté par les échos d’une très lointaine nostalgie dont j’ignore l’origine. »

C’est vrai qu’elle peut être mystérieuse, cette nostalgie. Et surtout multiple.

Son origine est intéressante et explique facilement sa connotation négative.

Dans le livre Nostalgie, histoire d’une émotion mortelle, Thomas Dodman nous explique qu’à la fin du XVIIsiècle, certains soldats, exilés loin des leurs, sombraient dans une tristesse inouïe qui les rendait malades. On nomma alors cette maladie : la « nostalgie ». C’est une lecture fascinante qui raconte aussi comment la nostalgie s’est transformée et adaptée d’une époque à l’autre, jusqu’à notre société actuelle où le capitalisme s’en est emparé avec « ses psychologies, ses relations sociales, ses traits culturels », poursuit l’auteur, nous faisant consommer, entre autres, des objets qui nous raccrochent à nos souvenirs.

Parce qu’effectivement, nous vivons dans une société du fétichisme de l’objet.

Mais ces objets, reliques auxquelles nous confions la fonction de réactiver un souvenir, ne sont en fin de compte que la courroie de transmission, les déclencheurs de ce souvenir qui est inscrit dans notre tête et notre cœur.

Le souvenir est l’essence même de la nostalgie. Et c’est ce qui importe.

Alors je me dis que tous les moyens sont bons pour se faire du bien. La nostalgie en est un.

Et après tout, quand on s’arrête à une partie de l’étymologie du mot, « nostos » (retour), on se rend compte que c’est un dérivé d’une racine indo-européenne : « nestaï », dont le premier sens est « retour heureux, salut ».

Mon grand-père, immigrant qui avait connu les blessures du déracinement, reprenait souvent avec joie des chansons de son enfance, de son Italie natale. Ça ne le rendait pas triste. Il était joyeux, car, comme l’écrivait Jane Austen : « Quand la douleur est passée, son souvenir devient souvent un plaisir. »

La nostalgie, il faut bien le dire, nous aura aussi donné les plus belles chansons que nous portons collectivement dans nos cœurs, comme La Manic de Georges Dor :

« Parfois je pense à toi si fort / Je recrée ton âme et ton corps / Je te regarde et m’émerveille / Je me prolonge en toi / Comme le fleuve dans la mer / Et la fleur dans l’abeille »

Je pense aussi à l’immense Serge Bouchard, qui écrit dans La prière de l’épinette noire en référence à cette fameuse balle de notre enfance, celle qui renvoie au « baseball en été » et au « hockey de rue en hiver » :

« Aujourd’hui, assis à longueur de journée dans mon fauteuil, immobile, regardant par la fenêtre, fixant la rue devant moi, je passe des heures enfermé en moi-même. On pourrait croire que je prie ou que je médite. On pourrait croire même que je pense. Mais non, j’ai simplement dans la tête une balle bleu-blanc-rouge en caoutchouc. »

Je nous souhaite donc des moments où la nostalgie, dédouanée, porteuse de réconfort et messagère d’espoir, nous rappellera que le beau a existé, nous a façonnés et reviendra toujours.

Le poète Jean-Paul Daoust affirme que « la mélancolie est une tristesse qui se repose ». Moi, je dis que la nostalgie est une joie qui se souvient.

Et que c’est très bien comme ça.