J’ai passé la plupart des midis du début de mon secondaire à jouer au hockey cosom. Après les cours, on me trouvait presque toujours au gymnase. Ma vie étudiante de 12 à 15 ans a été réglée autour d’une seule et même activité : courir après une balle trouée avec un bâton en plastique. Deux heures par jour, quatre ou cinq jours par semaine, de septembre à juin.

J’en mangeais, comme on dit. Si bien que j’engloutissais mon sandwich en moins de deux, devant mon casier, en enfilant un pantalon de jogging et un t-shirt. Je n’ai que très rarement mis les pieds à la cafétéria. Je ne faisais faux bond au hockey cosom que pour préparer le journal étudiant... ou jouer au hockey balle dans la cour de récréation.

Le gymnase de mon petit collège de banlieue était pourtant, à l’époque, à la fin des années 1980, peu adapté au sport. Le mur de briques était dangereusement texturé avec des saillies et des crevasses. Le design des années 1960 était peut-être joli, mais bien peu pratique.

Un midi, projeté tête première dans le mur de brique par un joueur adverse, j’ai fait une commotion cérébrale. « Je vois des étoiles ! », ai-je dit en reprenant mes esprits, alors que des flashes de lumière brouillaient ma vue. « C’est normal, on est là ! », a répondu un de mes amis.

Avec l’équipe du collège, formée de cette bande d’amis, nous avons remporté le championnat régional, en cinquième secondaire. Mais tous les jours, doué ou pas pour le handball, le basketball ou le cosom, il était possible de faire du sport à l’école. Lorsque le gymnase était occupé, on pouvait se rabattre sur la petite salle de sport attenante, où les murs étaient encore plus troués. Tout le monde était le bienvenu, peu importe son niveau.

Fiston a notamment choisi son école secondaire pour jouer dans son équipe de futsal. Lorsqu’il s’est retrouvé bien malgré lui parmi les derniers joueurs retranchés de l’équipe, en première secondaire, il a cessé de jouer au soccer intérieur. Pas par choix, mais bien parce qu’à son collège, seuls les élèves sélectionnés dans les équipes d’élite avaient la possibilité de faire du sport le midi et après les cours. Les plateaux sportifs, les gymnases, leur étaient exclusivement réservés, et il n’y avait pas de solution de rechange.

Fiston a fini par intégrer l’équipe de futsal quelques années plus tard, à l’insistance de ses amis, mais il a passé les premières années de son secondaire à ne pas faire de sport du tout, à l’exception de ses cours d’éducation physique. Son frère a quant à lui joué au soccer intérieur en première secondaire, avant de quitter l’équipe, axée sur la compétition et les résultats. Il n’a plus jamais rejoué. Mes neveux ont fini par abandonner le basketball parce qu’à mi-chemin du secondaire, leur collège ne formait plus que des équipes d’élite.

Heureusement que dans plusieurs écoles, des gens dévoués, parmi lesquels des professeurs d’éducation physique, tentent de pallier le manque de places dans les gymnases et dans les équipes afin d’encourager la participation à différentes activités. Car le décrochage sportif est un phénomène inquiétant.

Que des jeunes de 15 ou 16 ans ne puissent pas de leur propre chef, à leur guise, alors qu’ils en auraient envie, faire du sport à l’école secondaire parce qu’ils ne sont pas considérés parmi les 10 ou 12 meilleurs athlètes d’une discipline donnée me semble absurde. J’y repensais la semaine dernière, en lisant un excellent reportage sur la question de ma collègue (et ex-coéquipière de futsal au FC Pelouse) Catherine Handfield.

Lisez le texte « Des champions... et beaucoup d’abandons »

Je n’ai rien contre le sport d’élite. J’ai fait du sport d’élite toute ma jeunesse, jusqu’au collégial dans le réseau scolaire et jusque dans le junior dans le réseau civil. Ce n’est pas le rôle de l’école de former l’élite sportive au détriment de la majorité des élèves. Pour l’élite, il y a les programmes sport-études. L’école secondaire devrait susciter un goût pour le sport chez les jeunes, avant d’en faire des athlètes de pointe.

« Pendant leurs études secondaires, seulement 13 % des filles et 22 % des garçons atteignent le niveau d’activité physique de loisir recommandé durant l’année scolaire, selon l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire (2016-2017) », écrit Catherine dans son reportage. C’est extrêmement préoccupant.

Les experts qu’elle a consultés sont unanimes : on accorde beaucoup trop d’importance au sport d’élite et à la compétition dans les écoles secondaires du Québec. Pendant ce temps, combien de jeunes décourage-t-on à jamais du sport parce qu’on leur a fait sentir qu’ils n’étaient pas à la hauteur, en portant un coup à leur estime de soi ?

On sait à quel point les saines habitudes de vie à l’adolescence ont un impact à l’âge adulte. Et pourtant, l’école fait subir à certains élèves une humiliation semblable à celle d’être le dernier choisi dans l’équipe de ballon-chasseur dans la cour de récréation. Comme si la psychologie sportive n’avait pas évolué en 40 ans et qu’on n’avait rien appris des causes et des effets de l’anxiété de performance.

L’un des objectifs de l’école ne devrait-il pas être, à terme, de former des citoyens actifs, qui pourront profiter toute leur vie des bienfaits physiques et psychologiques du sport ?

L’une des pistes de solution proposées par l’équipe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke (dont je parlais dans cette chronique la semaine dernière) afin d’aider les jeunes à chasser les « idées noires » qui ont surgi pendant la pandémie est justement de « favoriser la reprise des sports de manière stable, en évitant de les suspendre à nouveau ».

Mes nièces sont plus heureuses depuis qu’elles ont recommencé à jouer au hockey il y a quelques semaines, me confirme mon frère. Moi-même, je constate à quel point mon équipe de ligue de garage m’avait manqué, après deux ans loin des arénas.

Je connais trop de gens qui n’aiment pas le sport parce que l’idée qu’ils s’en font est de souffrir en suant à grosses gouttes sur un appareil, seul dans un gym. Le sport d’équipe a l’avantage d’être une activité ludique. Le jeu, la camaraderie, y priment la quantité de calories brûlées. C’est une activité sociale.

J’ai retrouvé, dans ma ligue du dimanche soir, des amis avec qui je jouais au hockey cosom au collège, il y a 35 ans. Nous n’avons plus le même niveau, nos passes sont moins précises, nous sommes moins vites sur nos patins, moins agiles. Notre plaisir, lui, est intact.