Au Québec, le sport organisé chez les jeunes est axé sur la compétition, l’élitisme, la spécialisation. Des voix s’élèvent pour remettre en question ce système, qui mènerait à beaucoup de décrochage sportif.

En première secondaire, Tristan Dubois a fait partie de l’équipe de basketball de son école privée, à Montréal. Tristan était « loin d’être le meilleur », selon ses dires, mais il s’y plaisait. Ses coéquipiers sont devenus ses amis. Il a même abandonné le karaté pour se consacrer au basketball.

Au début de sa deuxième secondaire, Tristan a refait les essais pour garder sa place dans l’équipe. Cette fois, il n’a pas été pris.

« Ça m’avait marqué, se souvient Tristan. Dans le vestiaire, j’avais les larmes aux yeux, mais toute l’équipe me soutenait. »

Tristan n’a plus rejoué au basketball, sauf au parc, entre amis. « En fait, après, j’ai juste arrêté de faire du sport », réalise le jeune homme de 19 ans, qui n’en tient pas rigueur à son ancienne école. C’est la façon de faire, comme dans bien des écoles secondaires.

« Très axé » sur la compétition

Au Québec, des écoles secondaires font de la sélection pour former leurs équipes sportives, tandis que d’autres n’en font pas. Quoi qu’il en soit, le Québec est l’une des rares provinces où la saison sportive s’échelonne de l’automne au printemps. En Ontario, les jeunes sont invités à choisir trois sports différents dans l’année, qu’ils pratiquent successivement, en fonction des saisons.

« Au Québec, on a un système qui est très, très axé sur la compétition : on veut avoir des bannières dans notre gymnase », résume André Lachance, conférencier, professeur à l’Université d’Ottawa et entraîneur de baseball de renommée mondiale.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉ LACHANCE

André Lachance

Je ne suis pas contre la compétition, mais je pense qu’elle devrait servir au développement de l’athlète, et non à des adultes qui veulent faire rouler leur organisation.

André Lachance, entraîneur de baseball de renommée mondiale

Psychologue scolaire, Rémi Côté accueille souvent des jeunes qui auraient tellement besoin de bouger, mais qui se sentent rejetés par cette philosophie « d’élitisme, de comparaison et de podium ». « Je constate qu’il y a beaucoup d’enfants et d’adolescents qui sont atteints dans leur estime personnelle, dit-il. Je vois des jeunes qui développent une vision très négative de leur corps et de leur capacité physique, encore plus depuis la pandémie. »

Selon lui, la pandémie est une belle occasion de revoir le modèle de fond en comble. Le sport d’élite peut en faire partie, mais à ses yeux, on lui accorde trop d’importance.

PHOTO FOURNIE PAR RÉMI CÔTÉ

Rémi Côté, psychologue

L’essentiel, ce n’est pas le podium : c’est l’activité physique.

Rémi Côté, psychologue

Pourquoi, par exemple, ne pas organiser des cours de cardiovélo dans le gymnase ? se demande Rémi Côté. Des tournois amicaux ? Du basketball pour les petits ?

Cofondateur du Grand défi Pierre Lavoie, le triathlonien Pierre Lavoie milite depuis de nombreuses années pour un changement d’approche. Il demande d’ailleurs des états généraux pour trouver un modèle québécois qui permettrait aux enfants de « rester actifs pour la vie ».

C’est bien documenté : la participation sportive organisée décline à l’adolescence. Selon une étude de l’Institut canadien de la recherche sur la condition physique et le mode de vie (2014-2016), au Québec, elle passe de 78 % chez les 5 à 12 ans à 68 % chez les 13 à 19 ans. Pendant leurs études secondaires, seulement 13 % des filles et 22 % des garçons atteignent le niveau d’activité physique de loisir recommandé durant l’année scolaire, selon l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire (2016-2017).

« Le système est fait pour développer des champions pour bien paraître à l’international, dit Pierre Lavoie, mais on perd beaucoup d’enfants qui arrêtent de bouger, parce qu’on est pressé de les mesurer, de les évaluer et de les comparer. »

« Il y a toute une culture derrière ça »

Le Réseau du sport étudiant au Québec (RSEQ), dont la mission est de contribuer à la réussite scolaire par la promotion de la santé, du sport et de l’activité physique, propose une offre de service « diversifiée » aux écoles. La remise de bannières et de médailles ne représente que de 10 % à 20 % de leur volume, soutient Gustave Roel, président-directeur général du RSEQ.

Ce sont les établissements, ensuite, qui choisissent ce qu’ils veulent offrir aux élèves. Au primaire, dit-il, les programmes sont axés sur les saines habitudes de vie. « La demande qui vient du secondaire, c’est la gestion de ligues », convient Gustave Roel.

On est dans un système de compétition. Ça relève des besoins que les écoles vont exprimer.

Gustave Roel, président-directeur général du RSEQ

Selon Gustave Roel, les écoles secondaires s’inscrivent dans un contexte plus vaste. « Les fédérations sportives au Québec ont une reconnaissance en fonction des athlètes positionnés sur l’échelle provinciale et nationale, rappelle-t-il. Les Jeux du Québec, c’est un autre exemple. Il y a toute une culture derrière ça. »

Et cette « culture » commence tôt, très tôt.

À l’âge de 6 et 7 ans, le fils de Jean-Pierre Coulombe était dans le programme de développement d’un club de plongeon de Montréal. Son deuxième entraîneur avait une approche « plus froide, plus disciplinaire », se souvient Jean-Pierre Coulombe. Le petit devait suivre les instructions… sur une feuille. Comme il « partait dans sa bulle », il avait rarement droit à la récompense en fin de cours : sauter du grand tremplin.

Ses parents ont rencontré la responsable du programme pour voir si on pouvait modifier l’approche à l’égard de fiston, qui avait besoin de se faire toucher l’épaule pour écouter.

Jean-Pierre Coulombe se souviendra toujours d’une phrase qu’il a entendue, ce jour-là : « Vous savez, nous, on entraîne des champions ». Son fils a cessé de faire du plongeon. Il a 15 ans aujourd’hui. Il demeure sportif, mais « à ce jour, il a une aversion pour la compétition ».

Spécialisation hâtive

Selon la littérature scientifique, divers facteurs mènent à l’abandon du sport à l’adolescence, dont le manque de plaisir, la perception des compétences, la pression, mais aussi ce qu’on appelle la « spécialisation hâtive », qui consiste à spécialiser les enfants en bas âge dans une seule discipline.

Cette façon de faire est critiquée, parce qu’elle est associée à davantage de blessures et d’épuisements sportifs. Selon Pierre Lavoie, jusqu’à la fin de la deuxième secondaire, on devrait miser sur le développement de plusieurs compétences par le jeu et le plaisir, comme c’est le cas dans des pays scandinaves. À ses yeux, la spécialisation dans la grande majorité des sports pourrait être retardée.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Lavoie, cofondateur du Grand défi Pierre Lavoie, en 2018

André Lachance a travaillé avec plusieurs nations. Il retournera sous peu au Danemark, où il aide à revoir le système de compétition pour le mettre « au service de l’athlète ».

Selon lui, les exemples comme ceux de la Suède et de l’Islande montrent qu’on peut très bien travailler sur les deux tableaux à la fois : avoir du succès au plus haut niveau tout en ayant un système inclusif permettant à tous les enfants de rester actifs longtemps. La Norvège demeure un exemple frappant : le pays de 5,4 millions d’habitants – actuellement premier au classement des médailles aux Jeux olympiques de Pékin – propose un modèle axé sur le plaisir, le sentiment de compétence et la liberté de choix chez les enfants.

« Pour en arriver là, il faut faire des changements dans les structures, les systèmes de compétition et la façon de voir le sport », estime André Lachance. À l’instar du français et des mathématiques, les mouvements et les habilités devraient être enseignés tôt aux élèves. « Pourquoi, rendus en sixième année, les enfants québécois ne savent-ils pas tous patiner même s’il y a des arénas et des patinoires à proximité de leurs écoles ? », se questionne André Lachance, selon qui il reste aussi beaucoup d’éducation et de sensibilisation à faire.