On a fait d’eux une caricature, nourrie par les stéréotypes et les préjugés. Les jeunes d’aujourd’hui seraient de « petits trésors précieux » élevés dans la ouate, qui ne savent pas ce qu’est l’adversité. La réalité est tout autre. Les jeunes vont mal.

Le quart des 33 000 élèves et étudiants québécois de 12 à 25 ans interrogés en janvier par des chercheurs de l’Université de Sherbrooke ont eu des pensées suicidaires ou songé à s’automutiler dans les deux semaines précédentes, révèle une enquête de la Direction de santé publique de l’Estrie.

Lisez un résumé de l’étude

« Un phénomène en hausse depuis un an, notamment pour les cégépiens », précisent les étudiants en médecine qui ont réalisé l’étude auprès de jeunes de quatre régions du Québec – Estrie, Montérégie, Mauricie–Centre-du-Québec, Laurentides –, sous la supervision de la Dre Mélissa Généreux (recrutée la semaine dernière comme candidate par Québec solidaire).

Un jeune sur quatre ayant participé à cette étude a voulu se faire du mal le mois dernier. Si cette détresse vous inspire une blague sur des petits lapins et des arcs-en-ciel, je vous conseille de cesser de lire cette chronique.

Parmi les jeunes de 16 ans et plus (d’écoles secondaires, de cégeps, d’universités et de centres de formation professionnelle), les chercheurs ont noté que plus de la moitié présentaient des symptômes d’anxiété ou de dépression modérés ou sévères.

« Tant au secondaire qu’aux études supérieures, les jeunes trouvent que la pandémie a surtout nui à leur santé physique et mentale, de même qu’à leur motivation et leurs apprentissages scolaires », concluent-ils.

Selon un récent sondage Léger réalisé pour le Réseau québécois pour la réussite éducative, le tiers des Québécois aux études âgés de 15 à 22 ans auraient envisagé d’abandonner l’école pendant la pandémie.

C’est le son de cloche qui retentit ces jours-ci autour de moi. Sans doute parce que les enfants de mes amis ont pour plusieurs le même âge que mes garçons, que c’est justement l’âge où le décrochage scolaire est le plus fréquent et que c’est une période de l’année où beaucoup abandonnent des cours.

Untel a fait une croix sur sa session, Unetelle a décidé de prendre une année sabbatique pour voyager, se ressourcer, y voir plus clair. On en discutait, dimanche dernier, en regardant le Super Bowl. Une demi-douzaine de pères plus ou moins inquiets, tentant de se rassurer à propos de l’avenir de leurs enfants entre deux passes de touché.

« Seulement un tiers des jeunes a un niveau modéré à élevé d’optimisme par rapport à sa vie en général », rapporte l’étude de l’Université de Sherbrooke. La pandémie n’a certainement pas aidé à nourrir cet optimisme. L’isolement, l’effet démotivant du confinement et de l’école à distance ont semé le doute chez beaucoup, et provoqué une spirale d’échecs chez certains.

Comme parents, on souhaite encourager et motiver nos enfants à poursuivre leurs études, mais on ne veut pas trop insister non plus. Ces jeunes ont déjà assez de pression sur les épaules. Rares sont les endroits comme le Québec où, dès l’âge de 17 ans, on est sommé de prendre des décisions importantes quant à son avenir professionnel. Quel programme privilégier au cégep ? Avec ou sans mathématiques ? Pour s’orienter vers quel métier ?

Beaucoup craignent de faire le mauvais choix, ou de ne pas être à la hauteur des attentes. On a beau leur dire qu’ils ont le loisir de se tromper, qu’ils auront tout le temps de changer d’idée et de se réorienter, qu’une, deux ou trois sessions de plus au cégep, ce n’est pas dramatique, que c’est à peine une parenthèse dans un parcours de vie, sans grande incidence à long terme, ils s’inquiètent.

Ils s’inquiètent pour leurs perspectives d’emploi, craignent de ne pas trouver éventuellement à se loger à prix raisonnable dans un quartier central, de ne pas parvenir à s’accomplir, à trouver leur place dans la société, à s’épanouir, à être heureux.

Les facteurs de stress sont multiples, mais quantité d’étudiants vivent une forme d’anxiété de performance liée à leur réussite scolaire. C’est particulièrement remarquable au cégep, avec la fameuse cote de rendement collégial (cote R), qui semble faire foi de tout. À deux semaines des admissions universitaires, elle semble en empêcher beaucoup de bien dormir.

J’ai écouté avec Fiston, alors qu’il était toujours au secondaire, une conférence sur la cote R donnée par un expert en la matière. Je n’y ai pas compris grand-chose – j’ai abandonné les mathématiques après un cours de calcul différentiel et intégral au cégep –, mais j’ai retenu cette phrase : « Ne vous inquiétez pas, vous ne serez pas désavantagé, peu importe le collège que vous choisissez. »

Ce n’est pas si simple, semble-t-il. La cote R varie énormément, selon la force d’un groupe donné. Ceux qui sont dans un groupe homogène fort seraient avantagés et les méthodes d’évaluation en période de pandémie fausseraient la donne.

Cette semaine, comme le rapportait ma collègue Léa Carrier, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) a réclamé une enquête sur la cote R, et la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec a demandé un moratoire sur le nouveau calcul de la cote de rendement collégial, en vigueur depuis 2017.

Lisez « La FECQ réclame une “enquête” sur la cote R »

La FECQ souhaite une diversification des méthodes de sélection (entrevues, lettres de motivation, expériences, etc.) des candidats dans les programmes contingentés, afin que les universités tiennent compte d’autre chose que le dossier scolaire.

Il est peut-être temps, en effet, de revoir la manière d’évaluer les compétences des jeunes. Les étudiants ne sont pas des robots, et comme me le faisait remarquer une amie, la cote R ne tient pas compte de quantité de facteurs qui peuvent influencer un parcours scolaire, comme une rupture amoureuse, un deuil ou, par exemple, une pandémie…

Mais c’est tellement plus facile de se moquer de la fragilité de ces « petits trésors précieux » élevés dans la ouate.