Je joue à Donjons et Dragons depuis plus de 40 ans. Mais il ne m’avait jamais été donné d’expérimenter le jeu de rôle sur table avec un tel niveau de raffinement comme à l’occasion de cet évènement.

Le récit interactif est non seulement appuyé par un DJ qui choisit les trames musicales, environnements ambiophoniques et effets sonores, mais il est aussi amplifié par des projections vidéo et des effets lumineux. Tout cela au diapason de l’intensité dramatique des scènes et des tableaux dont la direction est dictée par les choix des joueurs. L’immersion est totale, à tel point que la montre intelligente d’un de nos compagnons de quête l’a averti qu’il vivait un niveau de stress anormalement élevé ! Et comme si ce n’était pas assez, un illustrateur dessine en direct les aventures vécues par les joueurs, offrant la surprise de sa création à la fin de la séance.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Thomas Pintal est maître de jeu depuis plus de 35 ans.

Celui à l’origine de cet ambitieux projet ludique est le maître de jeu Thomas Pintal, réalisateur multimédia chez Moment Factory – il est responsable de la conception de nombreuses productions un peu partout dans le monde, telles que Vallea Lumina à Whistler, Astra Lumina à Los Angeles et le Grand Magic Hotel de Paris. Depuis presque 30 ans, il met entre 60 et 100 heures chaque année pour préparer ce week-end de jeu de rôle avec ses amis.

L’évènement s’est transformé en happening au cours des cinq dernières années, Thomas s’est inspiré de son travail et s’est associé à des collègues pour ajouter des éléments multimédias à l’expérience. Il ne trace pas de frontière entre sa vie professionnelle et sa passion pour le jeu de rôle, le véritable moteur de son énergie créative.

Chez Moment Factory, je travaille avec un compositeur, un scénographe, avec des motion designers. Souvent, quand on se fait des réunions de création, je suis comme dans une partie de jeu de rôle, je suis le maître de jeu, dans le sens qu’on en arrive à établir une direction où j’oriente l’équipe comme je guide une table de jeu.

Thomas Pintal

« Chacun apporte son énergie dans cette espèce d’effervescence collective, ajoute-t-il. C’est ce que j’appelle la convergence des imaginaires. »

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Thibault Libert est responsable des trames musicales et des environnements sonores.

Il décrit de la même façon la manière dont les joueurs vivent l’aventure qu’il leur présente, un exercice qu’il qualifie de « brainstorm collectif perpétuel ». « Tout le monde se met à imaginer la scène à sa façon, soutient le maître de jeu qui a dirigé sa première partie en 1988. C’est le pouvoir de l’imagination ; on est assis, on a des dés, pourtant on imagine tous la même scène, à sa manière. Quand tout le monde atteint un certain état d’excitation, tout le monde décolle du réel. »

Essentielle ambiance sonore

Inutile de limiter l’apport des environnements sonores, toutefois, quand ils sont judicieusement utilisés. En fait, ils sont essentiels. L’univers de science fantasy dans lequel on a été plongé n’aurait pas été aussi immersif sans l’étonnante trame musicale et sans les effets sonores habilement synchronisés sur nos actions. Attentif derrière son écran, Thibault Libert choisit les pistes sonores les plus appropriées et lance les effets qui ajoutent à l’intensité dramatique. Thomas Pintal a aussi accès à sa propre banque sonore qu’il peut utiliser pour amplifier les émotions des joueurs, notamment lors de certaines scènes clés.

Pour moi, l’usage le plus important, c’est le son. Si dans l’histoire on pénètre dans une forêt sombre, ténébreuse, le soir, il y a de la pluie, il faut l’entendre, il faut entendre le tonnerre au loin. Tout le monde le ressent, le vit, mais l’imagine à sa façon.

Thomas Pintal

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Le système de jeu employé par Thomas Pintal fait appel à des dés, mais le déroulement de la partie est surtout narratif.

Le maître de jeu va aussi contrôler certains passages pour que la musique amène le bon état d’esprit au bon moment. Il fallait vivre la finale haletante quand le crescendo musical s’est subitement arrêté, accentuant le caractère dramatique de la mort d’un important protagoniste. Comme dans un film, mais en plus intense parce qu’on vit soi-même le moment.

Thomas et Thibault passent ainsi des dizaines d’heures à préparer leurs éléments sonores. « J’ai un profil très cinématographique dans mon approche avec la musique », explique Thibault Libert, qui travaillait comme producteur de contenu à Moment Factory quand il a fait connaissance avec Thomas Pintal. « Thomas me donne des environnements avec une séquence en général et un arbre de possibilités qui essaie de couvrir tous les endroits potentiels de la partie. Au début, ma contribution se voulait exploratoire, mais dès la deuxième année, j’ai vraiment compris comment je pouvais travailler. » À preuve, il a acheté cette année des projecteurs lumineux qui s’activent et changent de couleur en fonction du rythme de la musique et de l’ambiance sonore.

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Jean-Loïc Fontaine est mis au courant de l’arc général de la quête vécue par les joueurs, mais il n’en connaît pas davantage avant de se lancer.

L’aventure en images

Jean-Loïc Fontaine est un autre ancien collègue de Thomas Pintal chez Moment Factory. C’est au hasard d’une discussion que le maître de jeu s’est interrogé sur la possibilité d’amener le jeune illustrateur avec lui pour tenter de représenter sur papier ou sur écran l’univers éphémère créé pendant le week-end annuel de jeu de rôle. Présent cette année uniquement pour la finale du samedi, il a choisi l’aquarelle comme médium pour illustrer nos aventures.

« Souvent, ce que j’essaie de faire, c’est de capturer les moments clés, explique-t-il. C’est un peu comme lorsque l’on fait du modèle vivant qui enchaîne de courtes pauses pendant une heure ou deux. Avec les parties de jeu de rôle, c’est le même processus mental, mais en imagination. Il faut prendre le plus d’énergie possible et quand survient un flash visuel, il faut trouver une façon de l’illustrer, de capturer ça. C’est plus comme la photo, un peu comme de l’impro, et c’est super nourrissant pour l’imagination. »

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Jean-Loïc Fontaine a illustré les aventures en direct à l’aquarelle.

Thomas Pintal veut encore bonifier l’environnement de son rendez-vous annuel de jeu de rôle, avec le projet de faire quelque chose d’inédit pour souligner les dix ans de l’évènement, dans cinq ans. « J’ai envie que le jeu de rôle, notre jeu de rôle à notre façon, notre trip, grandisse, et puis qu’on s’offre un délire, promet-il. Des fois, on en parle et on se dit : “Qu’est ce qu’on peut faire de plus ?” »

On a bien l’intention d’en être témoin.