Voilà cinq décennies que la Maison d’Haïti accueille et épaule les membres de sa communauté (mais aussi ceux d’autres groupes), un anniversaire qui sera souligné samedi à l’occasion d’un gala et d’une journée d’activités ouverte à tous, à la TOHU. Sa directrice générale, Marjorie Villefranche, revient sur l’évolution et l’importance de cette institution, passant au fil des ans du statut de point de rendez-vous à celui de village fourmillant.

Comme des dizaines de milliers de personnes avant et après elle, Mme Villefranche a très tôt toqué aux portes de la Maison d’Haïti. « J’étais adolescente, je m’y suis jointe d’abord comme une jeune qui cherchait son identité, des services. Et je ne l’ai jamais quittée », se remémore celle qui y a été tour à tour bénévole, militante, puis directrice des programmes en 1983, et enfin directrice générale à partir de 2010.

Elle fut ainsi aux premières loges pour observer l’épanouissement de l’organisme communautaire implanté dans le quartier Saint-Michel, dont plusieurs déménagements à mesure que les murs se sont révélés trop petits par rapport à des besoins toujours grandissants ; le dernier en date remonte à 2016.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Chaque année, des milliers de personnes vont chercher une formation, un soutien, un loisir ou tout simplement une occasion de socialiser dans le bâtiment orné d’un palmier.

« On a vraiment construit quelque chose qui nous ressemble, très coloré, très moderne », indique Marjorie Villefranche, soulignant que cette mue s’est accompagnée d’un développement de son offre. « Nous avons beaucoup mûri et travaillons autour de six coordinations, à savoir l’intégration des nouveaux arrivants, la famille, l’éducation pour adultes et enfants, la jeunesse, les femmes et le centre des arts », énumère-t-elle. De l’aide aux devoirs à la recherche d’emploi, des cours de francisation aux festivals musicaux, l’éventail concret des activités est vaste et vise toutes les générations.

Prise de conscience

Outre cette diversification, quels changements la directrice a-t-elle pu scruter au gré des années ? Elle souligne le caractère singulier de l’immigration haïtienne au Québec, qui se produit de façon continuelle, contrairement aux vagues ponctuelles et éphémères nourries par d’autres communautés.

« Le nouvel arrivant d’aujourd’hui a les mêmes besoins que celui des années 1970. Il cherche à s’adapter, à s’intégrer, en fuyant une situation intenable dans son pays. La différence, maintenant, c’est qu’il trouvera une communauté beaucoup plus solide pour l’accueillir. Aussi, les Québécois connaissent bien mieux la communauté haïtienne », explique Mme Villefranche.

Cette dernière insiste sur le fait que le rôle de la Maison d’Haïti ne se cantonne pas à offrir des services et régler des problèmes ; elle vise une prise de conscience de la situation de ceux qui fréquentent l’institution, ainsi qu’une formation à la responsabilité citoyenne que joue l’organisme. Des dialogues sont ainsi orientés vers une meilleure compréhension de l’intégration des nouveaux arrivants et de leur identité, en les amenant à s’interroger sur le processus auquel eux-mêmes ou leurs ascendants se sont livrés.

On ne fait pas que dispenser des services, on va donner quelque chose de plus, une sorte d’éducation citoyenne. Tu vas sortir de là en te sentant responsable de ta rue, de ton quartier, de ta ville.

Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti

Son prochain cheval de bataille sera d’ailleurs d’inciter populations et gouvernements à nourrir une réflexion plus globale sur les mouvements de population, en tenant compte de leur caractère mondial, car « c’est une préoccupation qui va au-delà du chemin Roxham ».

La perle de Saint-Michel

Difficile de chiffrer avec exactitude combien d’âmes ont franchi le seuil de la Maison d’Haïti depuis sa fondation, en 1972, mais leur nombre est estimé à plusieurs milliers par année, et il ne cesse de grossir année après année. En 2022, près de 12 000 personnes se sont adressées à elle. Des anonymes, mais aussi des noms réputés ont gravité autour de ces murs, comme Michaëlle Jean, Rodney Saint-Éloi ou encore Dany Laferrière. À propos de ce dernier, Marjorie Villefranche se rappelle : « Il venait à l’époque pour retrouver non pas des services, mais, je pense, une ambiance qui le ramenait un peu dans son village. »

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE LA MAISON D’HAÏTI

Célébrations du temps des Fêtes au début des années 1970, lors des jeunes années de l’institution

N’allez pas croire cependant qu’Haïtiens et Québéco-Haïtiens soient les seuls à fréquenter les lieux, puisque des personnes provenant d’Amérique latine, du Maghreb, d’Asie ou d’Afrique y trouvent également une main tendue. Un juste retour d’ascenseur, la communauté haïtienne ayant elle-même reçu l’appui des Italiens, déjà implantés dans le quartier au moment où elle y a jeté l’ancre.

Aux côtés de ces portes qui se sont ouvertes, il y eut aussi des murs qui ont tremblé. Comme chacun le sait, l’année 2010 fut particulièrement éprouvante pour la communauté haïtienne, alors que la perle des Antilles se lézardait sous les assauts d’un séisme dévastateur. Pour la Maison d’Haïti, ce fut un test de solidarité et de résilience face aux besoins nés du désastre – test passé haut la main. « Ce fut difficile, mais révélateur sur notre capacité à faire face », évoque Mme Villefranche.

Samedi, à la TOHU, dès 10 h 30 avec de l’animation pour les enfants, le cœur sera plutôt à la fête, pour célébrer cette solidarité et ces couleurs qui n’ont pas terni depuis un demi-siècle, la communauté haïtienne connaissant mille façons d’entretenir le lustre de sa perle.

Consultez le site de la Maison d’Haïti