Le débat qui sévit sur la problématique des inscriptions dans les groupes de médecine familiale (GMF) dans les foulées des primes versées au ministre Bolduc est sérieux, et il faut tenter de l'analyser au-delà des points de vue partisans.

Les GMF devaient initialement permettre à chaque citoyen d'avoir accès à un médecin de famille pour désengorger les urgences en milieu hospitalier, mais surtout rendre les médecins disponibles pour leurs patients, en particulier les plus vulnérables. Qu'en est-il aujourd'hui?

Deux poids, deux mesures et des changements ministériels qui ne suivent pas les mêmes raisonnements. La perception des médias et de la population laisse parfois entendre que les GMF sont lucratifs et les montants alloués par le ministère de la Santé substantiels. Or, les fonds ministériels ne couvrent qu'une fraction des frais de location et de personnel. S'il est vrai que les sommes reçues sont proportionnelles au nombre de patients inscrits, il faut comprendre que ni le nombre de patients suivis ni le nombre de médecins ne peuvent se multiplier à l'infini.

Pour saisir le fonctionnement d'un GMF, il faut reconnaître la diversité de nos patients. Dans la pratique quotidienne, une personne vivant avec le VIH ou un cancer voit son médecin plusieurs fois par an et une personne toxicomane doit être accompagnée dans le suivi de ses traitements et de ses rendez-vous. Il est impossible d'augmenter considérablement le nombre de patients inscrits sans réduire le temps par visite ni l'accessibilité à des services en cas d'urgence.

Par exemple, l'Actuel reçoit une clientèle dont 70 % font partie de populations vulnérables (VIH, hépatite C, toxicomanie, itinérance, travail du sexe, migration, santé mentale). En 2009, pour prendre en considération la lourdeur des tâches liées à la prise en charge des problématiques complexes, le ministre Bolduc instaurait un coefficient de vulnérabilité par personne concernée, permettant de tenir compte du suivi annuel et du temps dédié par visite. Il ne s'agissait pas seulement d'inscrire des patients.

Concertation nécessaire

Quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre par l'Agence de la santé de Montréal l'abolition de ce coefficient de vulnérabilité alors que Réjean Hébert était ministre. Le ministre nous demandait également (pour répondre aux promesses électorales?) d'inscrire des patients jeunes et en bonne santé qui se présentaient pour un dépistage pour la seule raison qu'ils n'avaient pas de médecin de famille. Autrement dit, un patient vulnérable serait équivalent à un patient en santé.

Mes collègues et moi-même avons été abasourdis par cette stratégie qui limitait notre disponibilité aux maladies complexes en créant un déficit important de ressources. Dans les GMF qui traitent des clientèles vulnérables, chaque médecin ne peut simplement pas inscrire 1000 patients tout en offrant des services adéquats. C'est une illusion politique dangereuse qui nuit à la santé que de croire que tout le monde requiert la même prise en charge. Le modèle des GMF ne réglera pas l'accessibilité aux soins pour l'ensemble de la population sans s'orienter davantage vers une concertation entre les services de première ligne, les GMF, mais aussi les CLSC et les cliniques.

Il est utopique de penser qu'on améliorera la santé de la population en inscrivant davantage de patients dans des GMF. Il ne faudrait pas privilégier une inflation des inscriptions pour répondre aux impératifs gouvernementaux plutôt qu'une médecine de qualité.

Le débat autour du ministre Bolduc et de ses primes a le mérite d'exiger de comprendre en profondeur la prise en charge des patients vulnérables ou non et de réaliser que le modèle des GMF n'est pas la panacée pour régler tous les problèmes de santé. Beaucoup reste à faire.