J'aimerais revenir sur la série d'articles publiés ces derniers jours dans La Presse à propos du Nunavik et de ses nombreux problèmes sociaux. J'y ai reconnu plusieurs des réalités qui affligent les gens ici, à Kangirsuk.

En revanche, j'éprouve toujours un malaise à la lecture de ce genre de dossier, car lorsqu'il est question du Nunavik dans les médias, c'est presque immanquablement pour souligner les difficultés de ses habitants, leurs problèmes d'alcoolisme, de violence et de décrochage scolaire. Il serait absurde, évidemment, d'affirmer que ces problèmes n'existent pas ou qu'ils ne sont pas graves. Pourtant, ils ne résument pas à eux seuls la vie au Nunavik, les réussites individuelles et collectives, la volonté de nombreux jeunes de s'en sortir, ce dont on parle trop peu.

Il est rare également qu'on établisse un lien entre les graves problèmes sociaux du Nunavik et l'histoire de cette région, empreinte de colonialisme. Le passé n'explique pas tout, certes, mais il permet néanmoins d'éclairer la situation actuelle et de fournir un début d'explication.

Quand les Inuits se sont établis dans des villages permanents, il y a une soixantaine d'années, ils ne se doutaient pas au départ qu'ils ne seraient désormais plus maîtres ni de leur destin, ni de l'éducation de leurs enfants. Ceux-ci, en effet, étaient maintenant tenus de fréquenter les écoles fédérales où la culture inuite était dénigrée et où l'éducation se faisait exclusivement en anglais, selon des standards éducatifs importés du sud du pays. Après leurs études primaires, les enfants étaient envoyés dans des écoles résidentielles en dehors du Nunavik, où ils pouvaient séjourner pendant des années sans retourner dans leur communauté ni voir leurs parents. Ces premiers contacts avec l'institution scolaire ont laissé des marques profondes chez les Inuits, d'autant plus que dans les décennies suivantes, une meilleure éducation garantissait rarement l'accès à un meilleur emploi.

En 1975, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois était signée. Par ce traité, les Inuits cédaient au gouvernement québécois leurs terres ancestrales, en échange d'un régime de compensations financières et de divers pouvoirs administratifs. C'est d'ailleurs cette expropriation qui permet aujourd'hui la mise en oeuvre du Plan Nord, un projet qu'on peut qualifier de néocolonialiste, dans la mesure où la grande majorité des bénéfices de l'exploitation des ressources profitera à des intérêts à l'extérieur du Nunavik, la région devant se contenter de peu de retombées concrètes et durables, si ce n'est la détérioration de son fragile environnement.

Bref, nous ne sommes pas encore sortis de ce rapport de force inégalitaire entre la société dominante et la minorité inuite, qu'il importe de reconnaître et de tâcher d'atténuer. Accorder une véritable autonomie politique à la région, c'est-à-dire bien plus que ce qui a été proposé - et rejeté - lors du référendum d'avril 2011, serait déjà un pas dans la bonne direction. Cela ne règlerait pas tous les problèmes, mais cela donnerait certainement aux Inuits le sentiment d'être responsables de leur vie et des décisions fondamentales qui les concernent. Les Inuits du Nunavik la réclament depuis un demi-siècle. Il serait grand temps de les écouter, si on prétend vouloir leur bien, plutôt que de continuer de décider à leur place de ce qui est bon pour eux, comme cela dure depuis trop longtemps.