« Le blogue n'a rien à voir avec le journalisme professionnel [...] c'est l'expression de soi. » - Propos de Arianna Huffington recueillis dans La Presse, jeudi 9 février 2012, page A22.

Intéressant argument que défend Arianna Huffington, fondatrice du Huffington Post, pour inciter ses blogueurs à pondre du contenu gratuitement en échange d' « une plateforme et beaucoup de visibilité pour exposer [leurs] idées ». Ainsi justifie-t-elle son modèle de rémunération unilatéral.

Mercaticienne et spécialiste des communications depuis près de 25 ans, j'entretiens un blogue depuis quatre ans. Cet exercice fut précédé par cinq ans de diffusion d'un mensuel électronique, formule originale dudit blogue. Et d'expérience, je peux rassurer Mme Huffington que si effectivement, j'exprime ainsi mes idées, entre autres, chaque billet est réfléchi, vérifié et révisé tel que le fait le journaliste de profession (aussi un expert en communications).

En plus d'exprimer idées et opinions (tel un éditorialiste, tout aussi journaliste), mes blogues et ceux de quantité de collègues blogueurs (dont plusieurs journalistes) servent aussi à diffuser de l'information souvent pertinente sur des sujets souvent d'intérêt. Et dans bien des cas, cette information constitue le fruit de recherches parfois longues se combinant au bagage de connaissances cumulées dans l'exercice de nos professions.

Mais au crédit de Mme Huffington, il existe effectivement le blogue d'occasion comme celui de monsieur Untel qui vante son passe-temps préféré, ou encore, celui de l'ado qui étale sa passion assidue pour Justin Bieber. Il existe aussi le blogue d'humeur dont certains profitent pour éclabousser leur employeur ou un ex trop envahissant. Pour ma part, je réserve les humeurs pour Facebook et mes trouvailles impulsives (quoique souvent informatives) pour Twitter.

En revanche, Mme Huffington n'aurait-elle pas encore saisi que depuis ses premiers balbutiements, le blogue s'est transformé pour convenir à plusieurs usages, dont la diffusion d'information façon journalistique. Et que de ce fait, « l'expression de soi » s'est fragmentée sur diverses plateformes, notamment de réseaux sociaux. Ceci impose inévitablement le dépoussiérage des modèles d'affaires à l'origine du web - s'appuyant la gratuité - pour revoir un modèle plus juste et selon ses objectifs de revenus.

Une question s'impose : Mme Huffington lancerait-elle sa campagne de dévalorisation « journalistes vs blogueurs » simplement pour justifier son modèle d'affaires qui sombre rapidement dans la désuétude (elle doit certainement savoir qu'en TIC, les modèles évoluent plutôt frénétiquement). Entendu que de promouvoir la gratuité du contenu destiné à enrichir sa publication (parce que le Huffington Post est bel et bien une plateforme d'information) n'enrichit pas que son contenu mais aussi, son bottom line.

Équation simple du modèle internet: revenus (généralement publicitaires qui augmentent selon le nombre de paires d'yeux et de visites sur le site) moins les coûts de production (largement diminués lorsque l'on ne pait pas les fournisseurs de contenu) = belle marge de profit.

Or, le vénérable Telegraph nous informe qu'AOL vient d'acquérir le Huffington Post pour la modique somme de 315 m$1. Selon le même article, la société toujours privée qui ne diffuse pas ses résultats fait l'objet d'une estimation du New York Times qui prédit à ses dirigeants et actionnaires une rentrée brute d'environ 60 m$ en 2011, comparativement à 31 m$ en 2010. Et Arianna Huffington de déclarer, sans toutefois préciser, que le portail a effectivement affiché des profits l'an dernier...

Bien sûr que le Huffington Post constitue une plateforme formidable! Bien sûr qu'avec 25 millions de visiteurs par mois, tout blogueur sachant bloguer rêve d'y laisser sa marque pour la rehausser en bout de ligne. Mais à entretenir un modèle fondé sur la gratuité pour toucher la rançon de la gloire (315 m$ dans le cas de Huffington), comment le blogueur de métier vivant dans une société qui valorise la devise arrivera-t-il à payer son épicier qui, si je ne m'abuse, n'accepte pas la gloire en guise de paiement?

Étrange doctrine qu'Arianna Huffington tente d'inculquer en prétendant que des blogueurs de méritent pas de rémunération au même titre que les journalistes. Ou est-ce une nouvelle façon d'empocher le cyber-beurre et l'argent du cyber-beurre... on devrait-on dire le bacon?

1 https://www.telegraph.co.uk/technology/8308264/AOL-buys-Huffington-Post-facts-and-figures.html