C'est un constat général. La politique est affligée par le désintérêt de la population, exprimé notamment par le taux de participation dérisoire aux élections. Or, comment encourager les citoyens à aller voter quand leurs élus leur font la démonstration que leur vote n'a aucune valeur?

Lorsqu'un citoyen inscrit sa croix sur son bulletin de vote, il exprime à la fois son appui pour un candidat, un parti, un programme et un chef. Il est impossible de déterminer lequel de ces éléments a le plus influencé le choix de l'électeur. Du côté de nos élus, la réponse semble claire : le vote va au candidat. Une fois assis, le député est libre de peinturer son siège de la couleur qu'il désire. Au Québec, nos élus semblent bien déterminés à user de ce droit.

Marc Picard et Éric Caire ont ouvert la marche en 2009 en quittant l'ADQ. Ces défections ont eu lieu moins d'un an après l'élection, ce qui signifiait que les électeurs des deux comtés devraient attendre environ trois ans avant de pouvoir se prononcer sur le choix de leurs députés. Vient ensuite la crise au Parti québécois en 2011, au cours de laquelle Jean-Martin Aussant, Louise Beaudoin, Benoît Charrette, Pierre Curzi et Lisette Lapointe ont quitté leur parti pour siéger en tant qu'indépendants. Trois autres députés (René Gauvreau, Daniel Ratthé et François Rebello) ont depuis quitté le Parti québécois pour immédiatement rejoindre la Coalition pour l'Avenir du Québec. Mentionnons également le cas de Tony Tomassi, exclus du caucus de son parti et devenu député indépendant malgré lui. Enfin, ce n'est probablement qu'une question de temps avant que François Bonnardel, Gérard Deltell, Janvier Grondin et Sylvie Roy troquent la bannière de l'ADQ pour celle de la CAQ. Cette décision sera prise non pas par les électeurs de leurs comtés, mais par les membres de leur parti.

Au total, ce sont 15 circonscriptions qui auront vu leur représentation à l'Assemblée nationale être modifiée sans que les électeurs n'aient à se prononcer. Ces décisions auront été prises uniquement par les députés eux-mêmes et dans certains cas par les membres des partis auxquels ils appartiennent. La CAQ pourrait bientôt se retrouver avec neuf députés à l'Assemblée nationale et ce, sans jamais avoir présenté de candidat à une élection générale ou partielle. Et le mandat du gouvernement Charest n'est pas terminé.

Le meilleur exemple vient tout juste de se produire sur la scène fédérale. Lise Saint-Denis, députée de Saint-Maurice-Champlain, a quitté le NPD pour le Parti libéral du Canada. Cette décision s'est prise huit mois après le scrutin, ce qui signifie que la population du comté devra attendre plus de trois ans avant de se prononcer sur le choix de sa député. Le résultat de l'élection est pourtant éloquent : 39 % pour le NPD, 29 % pour le Bloc, 18 % pour le Parti conservateur et 12 % pour le Parti libéral. Le comté était d'ailleurs bloquiste depuis le départ de Jean Chrétien. Comment Mme Saint-Denis peut-elle affirmer que le Parti libéral représente mieux les intérêts des gens de Saint-Maurice Champlain alors qu'elle affirmait au lendemain du scrutin «ne pas bien connaître le comté»?

Au provincial comme au fédéral, les députés démissionnaires ont justifié leur choix en expliquant que leur ancien parti ne correspondait plus à leurs valeurs, qu'ils ne s'y reconnaissaient plus. Ces justifications sous-entendent que le siège appartient au député et non à la population qu'il représente. En tant que citoyen, le député est évidemment libre d'adhérer ou de quitter un parti politique quand bon lui semble. Par contre, en tant que député, il n'est pas de son ressort de choisir par lui-même quel parti répond le mieux aux aspirations de ses électeurs.

Certes, les députés peuvent sonder l'opinion de la population. À l'heure actuelle, les sondages donneraient probablement raison aux adéquistes et aux péquistes qui ont quitté leur parti pour se joindre à la Coalition. La chose est beaucoup moins sûre dans le cas de Lise St-Denis, dont le nouveau parti a obtenu un maigre 11,6 % des votes le 2 mai 2011 et qui n'a pas réellement remonté dans l'opinion publique depuis. Évidemment, un sondage ne peut être utilisé comme donnée officielle. Si c'était le cas, aucun gouvernement ne se rendrait au terme de son mandat. Aucun sondage, aucune pétition, aucun ouï-dire ne légitime un changement aussi drastique dans la représentation d'une population.

Il existe un seul moyen de connaître la réelle opinion de la population : le scrutin. C'est la seule occasion où la population se prononce clairement et de manière réfléchie sur les questions qui la préoccupent. Au cours des quatre années séparant les élections, les citoyens n'ont que très rarement l'occasion de se prononcer sur les enjeux actuels ou sur les décisions du gouvernement. Le député est choisi par le citoyen pour parler en son nom. Le député n'est cependant pas imputable. Il peut se faire élire en promettant «blanc» pour finalement dire «noir» au lendemain de l'élection. Du jour présent au scrutin suivant, il n'a aucun compte à rendre aux gens qui l'ont élu.

La seule «garantie» sur laquelle le citoyen peut compter, c'est que son député représente le parti pour lequel il a voté. Cela assure à la parole du député un certain encadrement dans lequel l'électeur peut se reconnaître. Depuis quelques années, nos élus ont cependant démontré par leurs agissements que leurs électeurs ne pouvaient même pas compter sur cette faible garantie. Comment alors, peut-on demander aux citoyens d'avoir confiance en leurs politiciens?