La mort d'Oussama ben Laden est un succès spectaculaire de la lutte antiterroriste menée par les Occidentaux depuis plus de 10 ans. Elle est le fruit d'un patient travail de renseignement et du courage du commando américain.

La mort d'Oussama ben Laden est un succès spectaculaire de la lutte antiterroriste menée par les Occidentaux depuis plus de 10 ans. Elle est le fruit d'un patient travail de renseignement et du courage du commando américain.

Si cette victoire peut être justement célébrée, le fait que cette opération se soit déroulée en sol pakistanais met en relief l'importance de ce pays dans la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme.

Ben Laden devait être en Afghanistan. Il a été tué au Pakistan, à quelques mètres de la principale académie militaire du pays, alors que les autorités pakistanaises ont toujours nié qu'il y était. Vérité ou mensonge, on ne le saura sans doute jamais, mais certains, eux, sont convaincus que le Pakistan est devenu le champ de bataille central de la lutte au terrorisme.

Le président afghan Hamid Karzai n'a pas hésité à souligner que cette affaire prouvait que les bases du terrorisme n'étaient pas en Afghanistan. Un ministre indien lui a emboîté le pas. La mort de ben Laden au Pakistan, a-t-il dit, justifie «les craintes que des terroristes appartenant à différentes organisations trouvent refuge» dans ce pays. L'Inde soupçonne toujours certains éléments des services secrets pakistanais d'avoir trempé dans les attentats de Mumbai en 2008 qui ont fait quelque 200 morts.

La coopération du Pakistan dans la lutte au terrorisme a ses zones d'ombre. Les Américains, les Afghans, les Indiens et bien d'autres accusent le pays de traîner les pieds. Des reportages documentent les complicités entre terroristes et certains secteurs des services militaires et de sécurité.

Pourtant, le Pakistan paie le prix fort dans le conflit avec les terroristes. Lorsqu'on examine la situation avec attention, on voit bien qu'il ne chôme pas. Une bonne partie des leaders d'Al-Qaïda arrêtés depuis 2001 l'ont été au Pakistan, par les forces pakistanaises. Celles-ci ont perdu quelque 5000 membres dans des combats ou des attentats. Au cours des trois dernières années, plus de 450 attentats ont été perpétrés en sol pakistanais causant la mort de quelque 30 000 personnes. Comme le rappelait le président pakistanais Asif Ali Zardari dans un texte publié par le Washington Post il y a deux mois, «nous avons perdu 10 fois plus de civils que le nombre de victimes des attentats du 11 septembre 2001».

Le bilan est lourd et il pourrait encore s'alourdir, car le Pakistan n'est pas seulement confronté à un problème de terrorisme. Depuis une vingtaine d'années, en effet, l'extrémisme islamiste secoue le pays et alimente ce terrorisme. Le fanatisme religieux gagne chaque jour du terrain et impose ses logiques meurtrières à une société complexe, fragile et tiraillée entre des courants politiques et idéologiques contradictoires. Ce pays de romanciers et d'intellectuels raffinés, de femmes courageuses et libres et de zones de développement ultramodernes est aussi confronté à des régressions sociales, des mouvements sécessionnistes, des lois et des pratiques moyenâgeuses, et des militants qui assassinent de hauts dirigeants d'autant plus facilement que l'État semble craindre de les punir. Quatre ans après l'assassinat de Benazir Bhutto, on cherche toujours les coupables.

Depuis le début de l'année, un gouverneur libéral et le seul ministre de confession chrétienne ont été assassinés pour s'être opposés à une loi sur le blasphème sanctionnant durement les insultes contre la religion musulmane. Un des assassins est même devenu un véritable héros défendu par des centaines d'avocats censés représenter les classes «éclairées» de la société.

Le Pakistan brûle d'un feu qui n'est pas prêt de s'éteindre. Ce feu est alimenté par des partis politiques sans scrupules, indifférents à la souffrance des femmes et des minorités, par des militaires toujours obsédés par la menace indienne et disposés à pactiser avec le diable, par des réseaux et des fondations religieuses déterminés à combattre l'occidentalisation.

Ce qui se passe au Pakistan est une guerre entre musulmans, et c'est le pire des conflits. Sans un apaisement, le terrorisme y trouvera toujours un terreau fertile. Les successeurs de ben Laden ont de beaux jours devant eux.