Les étés de mon enfance, je la contemplais, dormant sur le capot des voitures, s'agrippant aux moustiquaires des maisons. À l'automne, je la regardais s'emmitoufler entre les feuilles mortes. En hiver, dans le tourbillon d'un cotillon, je la voyais papillonner avec les flocons de neige. Et tout au long de l'année, je la modelais et je m'amusais à la personnifier sous diverses formes.

Les étés de mon enfance, je la contemplais, dormant sur le capot des voitures, s'agrippant aux moustiquaires des maisons. À l'automne, je la regardais s'emmitoufler entre les feuilles mortes. En hiver, dans le tourbillon d'un cotillon, je la voyais papillonner avec les flocons de neige. Et tout au long de l'année, je la modelais et je m'amusais à la personnifier sous diverses formes.

Aujourd'hui, les temps ont bien changé, les instances politiques lui ont collé l'étiquette de la mort. Depuis cette sentence punitive, on a dénigré, persécuté et banni l'amiante de notre quotidien. Partout sur la planète, on craint de perdre la vie si elle se manifeste dans les zones habitables. Cette corrosive opposition perturbe notre économie à tel point que la ville qui m'a vu naître et grandir, se dévalorise et périclite de jour en jour.

Depuis 1966, l'hôtel de ville a été l'emblème de prospérité et de noblesse pour la région d'Asbestos. Je ne peux cacher ma douleur lorsque je constate qu'elle se dénature au point qu'on l'abandonne à son triste sort.

Auteur de la sculpture d'acier L'Humain commandée par l'École des arts et des métiers d'Asbestos, Armand Vaillancourt pourrait passer pour un Nostradamus des temps modernes. Les gens d'ici, réfractaires à son ancrage, considéraient cette oeuvre à un horrible amas de ferrailles insignifiant. Et c'est parmi des tollés de protestation que l'artiste si controversé aurait révélé, par le biais de L'Humain, la sombre prophétie d'Asbestos, le déclin et la fin de la ville minière auxquels nul n'osait croire en 1963.

Depuis les années 80, il me semble que ma ville est devenue comme une vieille dame défavorisée qui attend la mort au bout d'un sinistre couloir. Elle pleure parce que la malédiction lui a presque tout ravi de sa belle qualité de vie. Dénigrée, appauvrie et sous-financée, Asbestos peine à recevoir les soins appropriés qui lui permettraient de bien vieillir, elle dépérit malgré quelques aspirations réconfortantes. Désemparée, on tente de la séduire afin qu'elle ouvre ses portes à d'éventuels investisseurs qui lui redonneraient un souffle nouveau.

Conscients de sa fragilisation, un essaim de pollueurs des régions lointaines et aux mains insalubres, y voient dans cet accès possible, une opportunité, une poubelle prometteuse qui permettrait d'évacuer de leurs intestins expansifs, des déchets ambigus.

Sans contredit, ma ville se meurt en raison du combat juste et essentiel que nos pères ont mené avec courage afin que l'on reconnaisse l'amiantose comme une maladie industrielle néfaste. Malheureusement, elle est devenue, avec les années 80, le paradoxe de notre réalité. De cette triste conséquence, misérablement, c'est nous tous qui subissons et souffrons de l'envers de cette victoire...

À vrai dire, chaque fois que l'on s'acharne à mépriser notre minerai et notre ville, maintenant, c'est nous tous qui sommes à l'abattoir, en avant-plan, prêts à défendre notre amiante, la racine de notre identité.

Asbestrien de souche et fier de l'être, j'ose croire à l'impossible, je prie pour que tout ne soit pas mort et enterré et qu'il y a, à l'aube de cette hiver 2010-2011, un espoir tangible soufflant sur notre communauté, car franchement, il serait temps qu'un peu de baume ragaillardisse l'activité économique d'Asbestos.