Pour plusieurs, les temps sont durs. Le Québec ne sait plus quoi faire de ce qui l'a fait. Il ne sait pas davantage vers quel horizon s'orienter. Vivant une mutation de sa référence collective, il trouve mal les raisons communes à son vivre-ensemble.

Pour plusieurs, les temps sont durs. Le Québec ne sait plus quoi faire de ce qui l'a fait. Il ne sait pas davantage vers quel horizon s'orienter. Vivant une mutation de sa référence collective, il trouve mal les raisons communes à son vivre-ensemble.

Certains sont craintifs. Peut-on s'ouvrir à l'autre sans se perdre dans l'ailleurs? Les transformations que connaît notre culture nous mènent-elles à la disparition? Et ce Nous, si bien circonscrit auparavant, qu'est-il en train de devenir?

D'autres sont confiants: les métamorphoses que connaît le Québec sont autant de régénérations salutaires à son épanouissement.

En dépit de sa morosité apparente, l'époque actuelle est intéressante à vivre et à étudier. Notre société est en passage. Elle évolue dans un espace transitoire qui paraît toutefois confus si on y entre muni de vieilles catégories analytiques. Le défi de la recherche québécoise est de repenser son objet en le saisissant dans ses continuités et ses détachements. Le Québec n'est pas devenu incompréhensible. Il se fait simplement inaccessible aux visions anciennes qu'on a de lui.

Depuis une dizaine d'années, les mutations que connaît le Québec provoquent moult litiges entre traditionalistes et réformistes. Prenons le débat sur l'histoire à enseigner aux jeunes, qui a tout à voir avec l'héritage identitaire à transmettre aux descendants. On a laissé entendre que le passé du Québec serait à l'avenir conjugué au temps du multiculturalisme et du postnationalisme. Et que l'on gommerait les conflits qu'il contient au profit d'une vision embellie de l'expérience collective. Ridicule.

La croisade contre le nouveau programme d'histoire n'a jamais eu d'autre but que de maintenir la conscience historique des Québécois dans la tradition de la nation meurtrie. Comme si l'expérience québécoise n'avait été qu'une suite d'empêchements - causés par l'Autre bien sûr - et que la condition québécoise devait se décliner sur le mode d'une série de rendez-vous ratés avec l'histoire. Ce récit de Soi, qui choisit sa séquence factuelle en fonction d'une velléité politique à susciter, celle de l'indépendance du Québec - un destin légitime, mais imprescriptible -, est épuisé sur le plan analytique et idéologique. Au chapitre de l'histoire par laquelle le Québec se raconte, il est essentiel de passer à l'avenir.

L'ouverture à l'altérité, l'américanisation culturelle du monde et la consécration de l'anglais comme lingua franca constituent trois autres défis qui, pour plusieurs, pèsent sur le devenir québécois.

Il faut tempérer. Sur le plan culturel, le Québec n'a jamais rayonné autant à l'échelle internationale, en français ou en anglais. Variés, les registres culturels consommés par les Québécois débordent amplement les contenus populaciers. Sur le plan linguistique, le français s'est affermi comme langue d'usage public dans le cadre d'une conversation de plus en plus multilinguale, surtout à Montréal. Enfin, la culture québécoise n'a cessé de s'actualiser dans ses formes d'expression. Être Québécois, en 2010, c'est vivre le défi du monde en l'affrontant sereinement, fort des réussites des 50 dernières années.

Et la question nationale? Mal avisé qui dirait que le projet d'indépendance est mort. Dans l'idée de progresser par l'interdépendance loge toutefois la raison politique du Québec à l'heure actuelle.

D'un côté, on constate une lassitude de la population envers les thématiques qui ont marqué la Cité depuis les années 60. De l'autre, on observe chez elle le désir, attentiste plutôt qu'affirmé, de passer à autre chose.  

Pour le moment, cette «autre chose» est mal définie. Le Québec est en transition, mais il n'existe pas de plan pour l'aiguiller vers un avenir désirable.

Le Manifeste des lucides, qui n'est pas un programme de droite, a fait jaser. Parce qu'il correspond a la culture modérément conservatrice et sobrement progressiste des Québécois, il affriande plus qu'il n'y paraît. Mais il manque d'enrobage rhétorique et de sensibilité politique. Il souffre aussi de la dispersion de ses objectifs. Il suffirait d'en réarticuler le contenu autour d'une proposition principale, par exemple la relance du chantier de l'éducation, crucial pour l'avancement de la société et clé de tout le reste, pour que la population se ranime, peut-être dans une nouvelle Révolution tranquille.

* L'auteur vient de publier un nouvel ouvrage, Le Québec entre son passé et ses passages (Fides), est

en librairie aujourd'hui.