C'est au nom des milliers de personnes que nous avons accompagnées jusqu'à la fin de leur vie, à cause des innombrables histoires, la plupart banales, mais chaque fois bouleversantes de vérité, que nous nous objectons fermement à toute forme de permission légale d'application de l'euthanasie ou du suicide assisté.

C'est au nom des milliers de personnes que nous avons accompagnées jusqu'à la fin de leur vie, à cause des innombrables histoires, la plupart banales, mais chaque fois bouleversantes de vérité, que nous nous objectons fermement à toute forme de permission légale d'application de l'euthanasie ou du suicide assisté.

Si la possibilité d'une mort provoquée par le médecin - c'est-à-dire une euthanasie - avait été une option pendant ces moments-là, ces histoires auraient été complètement différentes, et fort probablement tragiques dans le sens le plus négatif du terme.

L'euthanasie et le suicide assisté ne sont absolument pas nécessaires pour mourir dans la dignité et ouvrir une porte à l'un ou à l'autre serait assurément une très grave erreur pour nos patients déjà vulnérables.

En 17 ans d'expérience, il n'y a pas eu, dans ma pratique, une seule demande soutenue et répétée d'euthanasie de la part d'un de mes patients. Des demandes ponctuelles dans certains moments plus difficiles physiquement ou émotivement, des moments de découragement, d'épuisement, j'en dénombre certainement moins de 10. Et aucune de ces demandes n'a persisté lors des rencontres qui ont suivi.

C'est sûr que, instinctivement et superficiellement, la perspective d'avoir une maladie mortelle, la peur d'être abandonné, de souffrir, la peur d'être un fardeau pour les autres sont tous des facteurs qui font dire au patient: «J'aimerais mieux mourir que de vivre cela.» Mais dans la vraie vie, dans nos bureaux, dans les chambres d'hôpital, que ce soit au moment du diagnostic, lors des traitements, lorsqu'il n'y a plus de traitement actif contre la maladie ou en fin de vie, cette demande ne persiste pas.

Prenons l'exemple d'une femme à qui vous annoncez le diagnostic de cancer du sein, soit au début ou encore lors d'une récidive en cancer généralisé. Quelle est la première réaction? C'est un monde qui s'écroule. La patiente est dévastée. Elle serait mutilée, perdrait ses cheveux, perdrait sa féminité, perdrait son travail en plus d'être malade à vomir jusqu'à ne plus pouvoir s'occuper d'elle-même et de sa famille. Et c'est normal de réagir comme ça devant une situation inconnue. Mais la patiente revient une ou deux semaines plus tard, vous êtes là, vous la reconnaissez, vous vous informez d'elle, répondez à ces questions, vous la rappelez à la maison. En deux mots, vous prenez soin d'elle.

Les patients ne sont pas abandonnés à eux-mêmes, et ils le sentent très bien. Petit à petit se développe une relation médecin-patient, une relation de confiance, de respect mutuel. Les patients sont contents de venir à leur rendez-vous et nous, on est contents de les voir. On avance ensemble à travers les difficultés et les moments plus faciles. Les patients nous font confiance parce qu'ils savent qu'on leur veut du bien. C'est pour ça qu'on est médecins.

Récemment, une étude publiée dans le New England Journal of Medicine démontrait qu'un suivi parallèle - oncologie et soins palliatifs - augmentait les chances de survie des malades atteints de cancer du poumon. Un malade accompagné est plus fort, physiquement et mentalement. La perception de sa valeur comme personne, sa tolérance à la douleur, aux effets secondaires des traitements ou aux complications de sa maladie, est complètement différente de celui qui vit ça tout seul.

Malheureusement, les soins palliatifs, à domicile ou à l'hôpital, sont encore bien peu développés chez nous. Mais c'est là qu'on doit agir, c'est là que les vrais besoins sont. Et les soins palliatifs ne sont pas seulement pour les patients en phase terminale, ils sont un appui extraordinaire pour les patients et leur famille tout au long de leur maladie.

C'est vrai qu'il arrive des moments où la douleur devient insupportable au fur et à mesure que la maladie évolue, ou que les patients ont de la difficulté à respirer au point de se sentir suffoqués (la détresse respiratoire). Mais on ne les laisse pas à leur agonie, on ne les abandonne pas, on appaise leur douleur avec des sédatifs. Dans ces cas-là, ce n'est pas nous qui tuons le malade, mais sa maladie.

Les infirmières et les médecins dans notre groupe pensent que la dignité d'une personne vient d'un rapport qui dit: tu es aimé. Et tuer, c'est toujours trahir cet amour.

* Caroline Girouarda livré un témoignage devant la Commission sur le droit de mourir dans la dignité, mercredi, au nom d'une trentaine de médecins et infirmières qui soignent les patients atteints de cancer. En voici des extraits.