La chose est désormais «officielle»: l'eau est un droit de l'homme. Le 28 juillet dernier, l'Assemblée générale des Nations unies a en effet adopté une résolution pour déclarer «que le droit à une eau potable salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l'homme» et demander «d'intensifier les efforts faits pour fournir une eau potable salubre et propre» aux centaines de millions de gens qui n'y ont toujours pas accès.

La chose est désormais «officielle»: l'eau est un droit de l'homme. Le 28 juillet dernier, l'Assemblée générale des Nations unies a en effet adopté une résolution pour déclarer «que le droit à une eau potable salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l'homme» et demander «d'intensifier les efforts faits pour fournir une eau potable salubre et propre» aux centaines de millions de gens qui n'y ont toujours pas accès.

Cette brève résolution n'étant pas légalement contraignante, faut-il faire écho au Hamlet de Shakespeare et n'y voir que «des mots, des mots, des mots»? Pour ma part, je préfère souligner qu'il s'agit d'une étape, importante, dans un long processus juridico-politique plutôt qu'une fin en soi. En outre, faire de l'eau un droit de l'homme participe à la (re)définition de l'objet «eau», point de départ des politiques publiques.

L'importance du droit à l'eau

Bien entendu, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 n'a pas empêché ces droits d'être bafoués quotidiennement depuis. Il en sera de même pour le nouveau droit à l'eau. Néanmoins, il est difficile aujourd'hui de nier que l'émergence du discours des droits de l'homme a constitué une avancée cruciale. Louis Henkin, juriste émérite de l'Université Columbia, va jusqu'à faire de ces droits «l'idée de notre temps».

Cette idée, voulant que chaque être humain possède, de par sa seule existence, des droits fondamentaux et inaliénables que l'on doit faire respecter, sert effectivement de point de ralliement à une multitude d'acteurs luttant pour l'avancement du bien commun. Le discours des droits de l'homme permet d'articuler diverses revendications en un tout cohérent et porteur d'une grande légitimité populaire. Pour les militants de l'accès à l'eau potable, faire entrer l'eau dans ce discours signifie pouvoir en mobiliser toute la force morale, juridique et institutionnelle.

Le débat ne devrait désormais plus porter sur l'existence d'un droit à l'eau, par opposition à la désignation de l'eau comme «besoin», un simple constat qui n'implique pas les mêmes obligations de la part des États. Le débat pourra maintenant se concentrer sur la forme précise que prendra le droit à l'eau et les modalités de son éventuelle application. De quelles quantité et qualité d'eau est-il question? S'agit-il d'un droit à l'eau courante à domicile ou à la fontaine publique? Ces questions et d'autres attendent encore leurs réponses.

Bien des militants de l'eau voient dans la résolution de l'Assemblée générale un pas vers un instrument juridique international contraignant, voire une «haute autorité mondiale» de l'eau pour les plus optimistes. Au minimum, la déclaration d'un droit à l'eau est pour l'heure un outil permettant de bonifier le statut de l'eau en tant qu'enjeu de politique internationale et d'augmenter la pression sur les États pour qu'ils favorisent un meilleur accès à l'eau potable.

La (re)définition de l'objet «eau»

La campagne pour faire reconnaître l'eau en tant que droit de l'homme a pris son envol dans les années 90, alors que se formait un mouvement social mondial pour contrer la marchandisation de l'eau et la privatisation des services publics d'approvisionnement. La promotion du statut de droit de l'homme pour l'eau s'est donc faite en partie de manière réactive, afin d'occuper l'espace symbolique qu'était en train d'investir la proposition voulant que l'eau soit un «bien économique», une marchandise «comme les autres» ou même de l'«or bleu». Pour plusieurs militants de l'eau, proclamer que l'eau est un droit de l'homme, c'est aussi dire qu'elle n'est pas une marchandise, mais plutôt une chose commune: toujours en mouvement, connectant les territoires et nécessaire pour tant d'activités humaines, l'eau est un ingrédient de base de la vie et est tenue en partage.

Cette lutte pour (re)définir ce qu'est l'eau n'est pas «que sémantique»; elle est politique. En effet, la manière dont est conceptualisé un objet ou un problème est le point de départ pour sa prise en charge à travers les politiques publiques. Si l'adoption du droit à l'eau ne garantit pas son application rapide, un accès déficient à l'eau étant généralement associé à la pauvreté, elle pourrait néanmoins modifier les limites du «socialement convenable» en matière de distribution de l'eau et donc affecter les perspectives d'affaires du secteur privé. A priori, on ne gère pas un droit de l'homme comme on gère une marchandise.

Les tenants de l'eau-marchandise l'ont d'ailleurs compris. Réalisant que l'élan du droit à l'eau était sans doute irrésistible, plusieurs se sont finalement ralliés à l'idée dans les dernières années... pour mieux mener leur combat, en insistant sur la compatibilité entre l'approche marchande et le droit à l'eau. Ainsi, Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l'eau et PDG du Groupe des eaux de Marseille, concède «que le droit d'accéder à une eau saine et celui de bénéficier de l'assainissement sont des éléments essentiels de la dignité humaine». Mais, «en même temps», il n'en est pas moins d'avis que «l'accès à l'eau a un coût et que la gratuité est un fléau qui mène au gaspillage». Comme si un individu voyant enfin son droit à, disons, 50 litres d'eau par jour être respecté sans qu'il n'ait rien à débourser allait gaspiller quoi que ce soit...

Au-delà des obligations particulières des États liées aux droits de l'homme, définir l'eau comme un de ces droits est donc également une avancée sur le plan symbolique-politique; pour ceux qui pensent l'eau en tant que chose commune du moins. Cependant, là aussi il s'agit d'une étape, d'une raison d'espérer. Il reste encore, non pas à évacuer toute logique de marché de la gestion de l'eau, mais à lui refuser la primauté sur celle de communauté.

* L'auteur est doctorant en science politique et membre du Laboratoire d'études et de recherches en sciences sociales sur l'eau (LERSS-eau) à l'Université d'Ottawa.