Le budget Bachand 2010 propose l'instauration d'une franchise santé calculée en fonction du nombre de visites médicales effectuées durant l'année, ce qui équivaut à un ticket modérateur. La mise en place d'une telle mesure obligerait les malades à verser des sommes d'argent supplémentaires à l'État pour rencontrer leur médecin ou recevoir des soins.

Le budget Bachand 2010 propose l'instauration d'une franchise santé calculée en fonction du nombre de visites médicales effectuées durant l'année, ce qui équivaut à un ticket modérateur. La mise en place d'une telle mesure obligerait les malades à verser des sommes d'argent supplémentaires à l'État pour rencontrer leur médecin ou recevoir des soins.

Cette proposition est inacceptable: non seulement ne doit-on pas taxer la maladie, mais le concept même d'utilisateur-payeur ne peut s'appliquer à la santé.

Reconnaissant la nécessité de financer adéquatement le système de soins, nous rejetons toutefois que ce financement prenne la forme d'un ticket modérateur (ou orienteur) pouvant avoir des conséquences néfastes sur la santé de nos patients, porter atteinte au lien de confiance médecin-patient et rendre encore plus complexe la gestion du réseau de la santé. De plus, aucune diminution des coûts n'est garantie avec une telle initiative, bien au contraire.

Rien ne justifie donc une telle remise en cause des principes de l'assurance maladie, où les soins médicalement requis sont couverts par un régime public financé collectivement.



Des impacts négatifs sur la santé des Québécois


Lorsque nos patients consultent, ce n'est certainement pas pour le plaisir, mais bien pour prendre soin d'eux-mêmes ou pour effectuer les suivis demandés et les examens requis. Notre désaccord est d'abord éthique: un ticket modérateur (ou «franchise santé») risque de compromettre l'accès aux soins, notamment pour les personnes les plus vulnérables. Nous refusons l'idée que dorénavant nos patients puissent choisir de consulter ou non en fonction de leurs moyens plutôt que de leurs besoins.

C'est pourtant ce qui arrivera si un ticket modérateur est instauré: comme dans d'autres pays, certains patients retarderont ou annuleront des consultations, ce qui fragilisera la continuité des soins et conduira à une augmentation des hospitalisations et conséquemment des coûts. Parallèlement, la promotion de la santé et la prévention, éléments fondamentaux d'un bon système de santé, seront laissées pour compte.

Un ticket modérateur, qu'il soit modulé ou non, est donc une option éthiquement douteuse, médicalement indéfendable et d'autant plus injustifiée que les jeunes familles, les personnes âgées, les malades chroniques et les patients les plus pauvres en seront les premières victimes. Dans la perspective du vieillissement de la population et de la pandémie de maladies chroniques qui l'accompagne, cette mesure va à l'encontre de l'adaptation essentielle du système de santé à ces nouveaux défis.



Une proposition ingérable et coûteuse


Faut-il souligner la difficulté pratique de mettre en place une telle mesure? On souhaite «modérer» ou «orienter» nos patients, mais comment évaluer si leurs «choix» seront ou non «adéquats»? Selon quels critères nébuleux? Bien répondre demandera une connaissance précise des conditions médicales et des trajectoires de soins. Alors, qui en jugera? Un médecin, peut-être même le médecin traitant? De notre côté, nous n'avons pas l'intention de nous prêter à ce jeu.

D'un strict point de vue comptable, les coûts d'administration d'un tel programme risquent par ailleurs de dépasser largement les «gains» théoriques, sans compter que l'aggravation prévisible de l'état de santé et la hausse conséquente des hospitalisations entraineront de nouvelles dépenses. De plus, en contradiction directe avec les principes de la loi canadienne sur la santé, le ticket modérateur fera l'objet de batailles juridiques aussi coûteuses qu'inutiles.

Rappelons qu'à l'inverse de certaines idées reçues, l'utilisation du système de santé suppose déjà certains déboursés directs de la part des patients, qui payent de leur poche une part significative des soins, notamment ce qui n'est pas entièrement couvert par l'assurance-maladie: médicaments, dentisterie, physiothérapie, etc. Or, d'après l'OCDE, les montants en jeu sont déjà plus élevés au Canada que dans la plupart des pays comparables. Comment dès lors justifier une hausse supplémentaire sous forme de ticket modérateur?

Nos patients n'ont pas à subir les effets pernicieux d'un ticket modérateur. L'implantation de cette mesure aussi injuste qu'inefficace se ferait à leur détriment. Et ils risquent malheureusement d'en payer le prix... de leur santé. Il faut favoriser plutôt que nuire à l'accès à un médecin, alors que plus de 25% des Québécois n'ont pas de médecin de famille, de loin le pire résultat au Canada.

Nous rejetons donc fermement une proposition qui ferait en sorte que les Québécois aient à défrayer des coûts pour chaque consultation médicale.

Nous sommes d'avis qu'il faut plutôt redoubler d'ardeur pour implanter les solutions connues, démontrées efficaces et qui amélioreront vraiment notre système de soins: une meilleure organisation de la première ligne et une bonification des ressources qui lui sont allouées, le suivi intégré des malades chroniques (ce qui prévient les consultations à l'urgence et les longues hospitalisations), l'informatisation du dossier-patient et la gestion centralisée des listes d'attente doivent donc compter parmi les priorités gouvernementales.

Le gouvernement doit orienter son action vers ces chantiers plutôt que d'instaurer un ticket modérateur.

*Alain Vadeboncoeur, vice-président et Marie-Claude Goulet, présidente, Médecins québécois pour le régime public; Louis Godin, président, Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, Guillaume Charbonneau, président, Collège québécois des médecins de famille, Yann Dazé, président, Fédération des médecins résidents du Québec, Jean-François Lajoie, président, Association médicale du Québec, Myriam Auclair, présidente, Fédération médicale étudiante du Québec, Sylvain Dion, président, Association des médecins de CLSC du Québec, Réjean Hébert, Pierre J. Durand, Jean L. Rouleau et Richard Levin, doyens des facultés de médecine des universités de Sherbrooke, Laval, Montréal et McGill.