La lettre d'opinion d'Éric St-Onge au sujet de la lecture dans les écoles, publiée dans les pages Forum le 4 février et intitulée «Des livres endormants» (le texte paraît à la fin des commentaires), a suscité passablement de commentaires. Nous reproduisons ici quelques-uns d'entre eux.

La lettre d'opinion d'Éric St-Onge au sujet de la lecture dans les écoles, publiée dans les pages Forum le 4 février et intitulée «Des livres endormants» (le texte paraît à la fin des commentaires), a suscité passablement de commentaires. Nous reproduisons ici quelques-uns d'entre eux.

VOS COMMENTAIRES

Ça ne sert à rien

Je suis un ancien professeur du secondaire qui a abandonné le métier après 12 ans de carrière. L'an dernier, j'ai enseigné les sciences à Éric St-Onge, auteur de la lettre «Des livres endormants». Je désire lui répondre la chose suivante: en effet, ça ne sert à rien. Il y a quelques années, j'ai rencontré un peintre en bâtiment qui est venu chez moi peindre ma cuisine et mon salon. Comme je participais aux travaux, j'ai eu l'occasion de discuter avec ce type fascinant qui parlait, d'un vocabulaire riche, de politique, d'organisation sociale, de dette nationale, d'éducation, avec des idées éclairées et bien articulées. La semaine dernière, un plâtrier venu tirer des joints (de plâtre) m'a laissé la même impression. Visiblement, ces personnes sont allées plus loin que ce que leur métier exigeait d'eux. Mais à quoi peut bien servir un peintre philosophe ou un plâtrier analyste politique? C'est que, vois-tu, ils ne sont pas simplement ouvriers, ils sont aussi autre chose. Père de famille notamment. Ils ont en commun d'avoir des enfants à l'école. Des enfants de ton âge, des plus jeunes et des plus vieux. Dans les deux cas, ces enfants sont forts à l'école parce qu'ils travaillent fort. Selon leurs pères, certains veulent faire l'école de métiers, d'autres, l'université. Mais dans les deux cas, ces pères respectés se sont élevés beaucoup plus haut que de poser du plâtre ou de la peinture sur les murs. Ils sont devenus des exemples de persévérance et d'ouverture pour des jeunes en évolution. Selon eux, la lecture, l'ouverture d'esprit et les efforts sont un passage obligé pour assurer cette évolution. C'est vrai ce que dit le proverbe: il n'y aucun sot métier, il n'y a que de sottes gens. Mais toi, comment peux-tu tenir publiquement, sans gêne, des propos aussi réducteurs sur l'éducation, la littérature, la philosophie, les ouvriers et surtout tes collègues étudiants? Là mon gars, tu t'es barré du club des gens qui veulent aller plus loin, de celui des gens qui réfléchissent avant de parler et de celui des ouvriers qui en ont marre qu'on croit qu'ils ne sont qu'une bande de gros épais. Ce qui est poche et que tu n'auras pas compris, c'est que La Presse a présenté ta lettre pour montrer à quel point tes profs qui ont écrit mardi dans le même journal ont eu raison de s'inquiéter. Sans rire, tu crois vraiment que les lecteurs de ce journal (qui se lit, avec des lettres et des mots) auront ce petit commentaire: «Quel jeune homme dégourdi et intelligent; j'aurais tellement voulu le dire à sa place.» Tu rêves! Personnellement, j'aurais préféré écrire Germinal ou Au nom du père et du fils. - Ton ex-prof, Éric Chartrand, ex-enseignant, maintenant compositeur et musicien, Laval



Lisez

Cher M. St-Onge, l'école n'a pas pour mission d'assouvir vos passions, mais bien de vous aider à acquérir des connaissances et de vous guider dans vos apprentissages, tant intellectuels que sociaux. Il va de soi que cela passe par la lecture d'oeuvres variées plus ou moins imposantes. Lisez! Vous vous débarrasserez peut-être de vos préjugés et vous éviterez sans doute d'émettre des commentaires sur les ouvriers de la construction en confondant littérature et philosophie. Allez à la bibliothèque, empruntez Germinal et lisez-le jusqu'à ce que vous puissiez citer autre chose que le nombre de pages. Ces livres «endormants», comme vous dites, ont traversé les époques et provoquent l'éveil des idées. - Céline Lavoie, Boucherville

Pour forger notre esprit

Après avoir lu l'opinion d'un étudiant de cinquième secondaire du collège Saint-Jean-Vianney, collège que j'ai fréquenté jusqu'à l'an dernier, je n'ai pu que m'insurger. Je dois avouer que j'ai eu un petit pincement au coeur en constatant que c'est par manque de temps qu'on affirme la lecture de romans inutile. J'oubliais à quel point le secondaire est si terrible, la charge de travail si énorme... Pardonnez ma brutalité, mais il est temps de se réveiller, mes chers élèves, la paresse ne mène à rien dans la vie. Je parle de paresse en effet, car c'est bien ce vice qui vous habite. Le temps est fait pour être géré et non gaspillé. J'avais moi-même un emploi à temps partiel l'an dernier auquel je consacrais 20 heures par semaine. Alors, l'affirmation selon laquelle le marché du travail accapare et nuit à l'éducation littéraire des élèves est erronée. Il est temps de se défaire de ses illusions. Si vous aspirez à des études collégiales et universitaires, ces cinq romans, nombre ô combien pharamineux, ne sont que la pointe de l'iceberg. En effet, une session au collégial exige la lecture de trois oeuvres littéraires, seulement en français. Ce qui porte le décompte à six par année, excluant les romans en anglais et toutes les autres références que vous devrez consulter dans diverses matières. Vous devriez être reconnaissants de l'opportunité qui vous est offerte de pouvoir découvrir des romans de littérature mondiale. Dire que certains jeunes n'auront jamais la chance d'ouvrir un bouquin. Enfin, il serait bien naïf de croire que la lecture d'oeuvres philosophiques ne sert à rien. L'art élève l'âme, la culture nous fait réfléchir, grandir. Pourquoi les cours de philosophie sont-ils obligatoires au collégial? Ils doivent être utiles quelque part. Peut-être que consacrer quelques heures à un livre vous semble futile, mais si on en venait à cesser toute activité apportant des résultats concrets, nombre de cours, divertissements et autres auraient disparu. Que va faire l'avocat de son cours de biologie? Il n'appliquera sûrement pas ces connaissances quotidiennement, mais ce que nous acquérons tout au long de notre parcours académique sert à forger notre esprit et l'être que nous sommes. - Marc-André Racicot, étudiant au collège Jean-de-Brébeuf au baccalauréat international

Sommes-nous paresseux?

Nous avons lu Le condamné à mort, de Victor Hugo cette année et je crois qu'il en valait la peine. Car c'est un fabuleux manifeste contre la peine de mort et cela nous montre l'état psychologique d'une personne de tous les jours, qui doit faire face à sa mort imminente. La réforme à certains côtés positifs, car avant, les examens de lecture étaient tous simplement basés sur le par coeur et sur l'histoire. Maintenant, nous devons étudier le roman, nous en inspirer et en comprendre tous les divers aspects que l'auteur a voulu décrire. Il faut comprendre le personnage principal, savourer la beauté des chefs-d'oeuvre et les comparer avec d'autres. C'est une analyse que l'on doit faire et qui nous permet ainsi de mieux en savourer sa lecture. Je ne dis pas qu'il faut lire seulement des oeuvres littéraires qui ont su traverser les siècles, mais qu'il faut avoir cette curiosité. L'étudiant a aussi expliqué que les livres philosophiques n'étaient pas nécessaires dans notre vie. Mais alors, pourquoi les cégeps offrent-ils ou plutôt obligent-ils un cours de philosophie aux étudiants? Je crois qu'il ne faut pas bannir ces romans pour autant, car ils nous montrent souvent une nouvelle facette du monde, et ce, que ce soit positif ou négatif. Cela nous amène à réfléchir et à comprendre. Il ne faut surtout pas ce fermer les yeux à d'autres visions de la société, c'est comme si l'on disait aussi de ne pas lire de romans étrangers, ce qui nous fermerait au monde.Sommes-nous en train de devenir une société paresseuse? Je pense qu'il est important de lire des oeuvres anciennes. Peut-être que Germinal est un livre un peu trop consistant pour notre âge, ou tous simplement incompréhensible par notre «manque de vocabulaire, de culture et de persévérance». Mais nous ne devrions pas classer tous les livres dites vieux, comme étant inadéquat, et point nécessaire à notre vie. Si M. St-Onge croit qu'il est préférable de lire des livres récemment publiés ou qu'il est plus important de faire du sport ou de naviguer sur internet, je le déplore totalement! Lire n'est pas simplement une obligation faite par l'école, c'est un passe-temps pour certain, un travail pour d'autre et parfois, un message que l'on veut transmettre aux générations futures. Les livres racontent notre passé, inspirent notre imagination et viennent chercher nos émotions. Il ne faut pas les effacer de notre culture générale puisqu'ils font partie de notre histoire.- Jiwa Beauchesne, élève du collège Saint-Jean-Vianney

Donner l'exemple

On dit que l'appétit vient en mangeant, il en est de même avec la lecture. Les enfants apprennent par l'exemple. Si, dans une maison, il y a des livres, qu'on les lit, qu'on les manipule, qu'on fréquente les bibliothèques et les librairies, il y a beaucoup plus de chance que des enfants deviennent plus tard des lecteurs. Demander à l'école de faire aimer la lecture, s'il n'y a pas de renforcement positif à la maison, c'est un peu comme prêcher dans le désert. Les jeunes enfants ont besoin d'être nourris, d'être guidés pour tous les apprentissages de la vie qu'ils doivent acquérir. L'amour de la lecture n'est qu'un autre apprentissage qu'un parent soucieux de ses enfants doit leur offrir. J'ai quatre enfants et je considère que c'était dans mon «devoir de parent» de les amener à aimer lire. Et depuis leur plus jeune âge, je leur répète que la lecture c'est la nourriture de l'esprit et qu'il est tout aussi important de nourrir son cerveau que son corps. Ils ont eu entre les mains des magazines, des livres, des BD, des journaux et le résultat est là: quatre garçons de 11 à 21 ans qui lisent de tout, beaucoup et souvent! Il y a eu, bien sûr, des moments où ils lisaient moins, mais l'important, c'est que la lecture fait partie de leur vie quotidienne au même titre que le sport, les amis, l'internet, la télévision, etc. En plus de tous les bienfaits de la lecture, ils sont de bons étudiants qui savent composer des textes, écrire presque sans faute; ils sont capables de mettre par écrit leurs idées et organiser leur pensée. En ayant des enfants, il était primordial pour moi qu'ils deviennent des lecteurs et je considérais que si je réussissais à les amener à aimer lire, la moitié de mon travail (car c'est un travail d'élever des enfants) de parent était fait. Je peux donc dire MISSION ACCOMPLIE et j'aimerais que chaque parent comprenne l'importance de cette mission. Il suffirait d'une petite bibliothèque dans chaque maison et d'un parent qui lise chaque soir, une histoire à son enfant pour peut-être donner le goût de lire à toute une génération. C'est beaucoup demander aux établissements d'enseignement secondaire et collégial de donner le goût de lire. Cela aurait déjà dû être fait dans la petite enfance par les parents (et par des professeurs allumés et intéressés du primaire). - Silvie Savoie, Montréal



Classique et chef-d'oeuvre vont-ils de pair?

Est-ce que parce qu'un livre est un classique de la littérature française qu'il est nécessairement un chef-d'oeuvre? Zola et Hugo font-ils partie de la culture générale que l'on devrait tous avoir? Oui, bien entendu. Sont-ils absolument passionnants à cause de cela? Évidemment que non! Ce n'est pas parce qu'un livre est un classique de la littérature française qu'il est à en couper le souffle pour autant. J'en ai plus qu'assez d'entendre dire que les adolescents de nos jours ne sont plus cultivés et ne porte plus attention à rien d'autre qu'à l'ordinateur et à la télévision. Ce n'est pas pour rien qu'un aussi grand nombre d'élèves ne termine pas la lecture des livres obligatoires, et ce n'est certainement pas par manque de culture, de vocabulaire ou de persévérance comme le pensent mesdames Brault et Hammond. Encore moins par manque de temps! C'est tout simplement parce qu'ils sont, pour la plupart, particulièrement ennuyeux. Prenons pour exemple Germinal, d'Émile Zola. Nous avons lu un extrait de celui-ci durant mon cours de français et, pour être franche, je n'ai pu finir la lecture sans m'être assoupie. Selon vous, ce serait parce que je ne lis pas assez. Pourtant, durant ma courte vie, j'ai déjà lu une quantité impressionnante de livres, et pas seulement de la lecture que vous considérez probablement comme «légère». Contrairement à Éric St-Onge, je suis d'avis que la philosophie est toujours d'une grande aide à qui sait s'en servir et la comprendre. Je pense qu'il est important de nous faire lire des classiques parce qu'il faut bien apprendre l'histoire de la littérature française d'une manière ou d'une autre, et parce que sans cela, il y aurait un manque dans notre culture. Toutefois, je ne comprends pas pourquoi des livres comme Les chevaliers d'émeraude et Amos Daragon ne peuvent pas faire partie des listes de lectures obligatoires. Pourquoi ne pourrions-nous pas lire du Patrick Sénécal et du Pierre Bottero en classe? Ces livres et auteurs font partie intégrale de la culture francophone actuelle! Cessons un peu de vivre dans le passé! L'histoire de la littérature continue de s'écrire tout au long des siècles et je crois qu'il est d'une aussi grande importance de faire lire des classiques que des nouveautés. On ne cesse de me répéter depuis ma tendre enfance: «Chacun son opinion...» Eh bien, j'ai de la difficulté quelquefois à accepter l'opinion des autres, encore plus quand celui-ci est d'un non-sens ridicule. «Autrefois, dans les temps libres, lire un livre était tout à fait normal, mais de nos jours, dès que quelqu'un est disponible, l'ordinateur ou les sports sont des choix beaucoup plus judicieux», nous disait, le 4 février dernier Éric St-Onge. J'ai de la difficulté à croire que je suis la seule ado du Québec à lire durant ses quelques temps libres. J'ai toujours beaucoup lu et cela m'a toujours beaucoup aidé. La lecture et les notes en français sont directement liées. Ce n'est pas un secret pour personne. Demandez aux gens qui excellent en français dans votre entourage combien de livres ils ont lus durant leur jeunesse et à quelle fréquence ils continuent d'en lire maintenant. Je serais étonnée s'ils vous répondaient qu'ils n'avaient jamais beaucoup lu. La lecture est essentielle pour maîtriser sa langue. De plus, j'aimerais bien savoir ce que l'ordinateur et les sports peuvent nous apporter de si merveilleux pour notre avenir? J'aimerais bien profiter de cette corne d'abondance moi aussi! J'espère avec cette lettre avoir réussi à ouvrir les yeux à tous les enseignants bornés qui ne cessent pas de râler que leurs élèves sont «illettrés» et sans culture. Si vous cessiez de regarder droit devant vous sans jamais regarder autour, vous pourriez voir que le monde, en particulier les jeunes, à évolué et que désormais, les livres de science-fiction et de fantastique sont des choix beaucoup plus judicieux pour garder vos élèves captivés par vos cours! - Flavie Condrain-Morel, 16 ans, étudiante en cinquième secondaire à l'école Mgr-A.-M.-Parent de Saint-Hubert

 

DES LIVRES ENDORMANTS

Éric St-Onge étudie en cinquième secondaire du collège Saint-Jean-Vianney, à Montréal.

Pour les jeunes, l'ordinateur et les sports sont des choix bien plus judicieux que des romans de 500 pages

Selon nos professeurs, la plupart des élèves ne sont plus capables de lire des oeuvres complètes par manque de culture, de vocabulaire, ou tout simplement par manque d'entraînement et de persévérance. Selon moi, cette explication est absurde.

Ce n'est certainement pas par manque de persévérance, de culture ou de vocabulaire, mais bien par manque de temps ou par manque de passion pour le livre que nous ne pouvons tout simplement pas terminer les ouvrages que nous présentent les enseignants. Il faut dire que les romans choisis ne sont pas toujours bons.

Parlons du livre Au nom du père et du fils. N'est-ce pas un roman de 800 pages? Nous sommes à l'école cinq jours par semaine, nous avons donc des devoirs de mathématiques, d'anglais, de français et autres matières, sans compter que certains étudiants travaillent. Il est donc évident que visionner un film est beaucoup plus avantageux, car entre perdre deux heures tout au plus, ou perdre une semaine à lire un roman bien peu intéressant, la première option remporte la palme.

De plus, avec la fameuse réforme, nous n'avons jamais été habitués à lire des dizaines et des dizaines de livres endormants de 500 pages ou plus. Je veux bien croire que lire sur l'histoire du XIXe siècle nous ferait un bon bagage de connaissances pour l'entrée au cégep, mais la réforme elle va aussi y faire sa rentrée. Et en tant que «cobaye» de celle-ci, je crois qu'il ne sert strictement à rien de nous faire lire sur des trucs qui nous passionnent vraiment peu.

Si vous avez retiré Germinal de la circulation, ce n'est tout de même pas de notre faute et nous ne pouvons pas blâmer la réforme, mais bien le type de roman choisi pour les élèves. Les passions des jeunes ont évolué avec le temps.

Autrefois, dans les temps libres, lire un livre était tout à fait normal, mais de nos jours, dès que quelqu'un est disponible, l'ordinateur ou les sports sont des choix beaucoup plus judicieux.

Les romans philosophiques ne nous aideront en rien plus tard. C'est quand même assez rare que vous allez voir un ouvrier de la construction arriver avec son bagage de phrases philosophiques ou de théories sur le monde, toutes plus endormantes les unes que les autres, et entretenir une discussion avec quelqu'un.