Le dossier «Le CHUM à trois têtes» (La Presse, 28 et 29 septembre) suscite en moi colère envers les institutions, compassion pour les patients, admiration envers les médecins. Mais surtout, il me laisse avec deux sentiments tout à fait opposés: soulagement et frustration.

Le dossier «Le CHUM à trois têtes» (La Presse, 28 et 29 septembre) suscite en moi colère envers les institutions, compassion pour les patients, admiration envers les médecins. Mais surtout, il me laisse avec deux sentiments tout à fait opposés: soulagement et frustration.

Jeune médecin, diplômé de l'Université de Montréal en 2001, j'ai commencé une résidence en chirurgie au CHUM que j'ai quitté en 2003. J'ai finalement terminé une résidence en médecine familiale à l'hôpital Sacré-Coeur en 2005. Je garde des souvenirs intenses de mes années de résidence dans ces grands centres universitaires.

J'y ai côtoyé des médecins formidables dont je reconnais les noms encore avec admiration dans le dossier de La Presse. J'étais cependant partagé entre ce désir ambitieux de faire partie de «l'élite» médicale québécoise et le souhait de retourner chez moi, à Joliette, pour y fonder une famille dans un climat de sérénité.

En lisant le dossier, j'éprouve un soulagement énorme: j'ai une fois de plus la certitude d'avoir fait le bon choix. Dans mon hôpital, il y a aussi des personnes âgées qui souffrent à l'urgence, des tensions administratives et quelques murs à repeindre. Mais il y a une urgence toute neuve, des dossiers informatisés à ma clinique, et un climat de positivisme qui survit tant bien que mal parmi le personnel.

Je suis soulagé de ne plus avoir à arpenter les méandres de ce vieux CHUM avec mon teint verdâtre de fatigue et ma rage au coeur. J'avais presque oublié...

J'ai un pincement au coeur chaque fois que je lis un nom de médecin qui m'est familier dans votre dossier. Ces professeurs extraordinaires, ces cliniciens accomplis et, surtout, ces humanistes généreux ont été mes mentors. Ils sont la crème de notre système de santé. Ils travaillent dans un climat pourri, cumulant fatigue et frustrations, ne réalisant qu'une infime part de leur talent, étant limités par les moyens et le système. Et ils restent!

Bien sûr, il y en a qui sont partis, mais la majorité est resté; parce qu'ils sont des passionnés et qu'ils vivent dans l'espoir de jours meilleurs. Quel désarroi je ressens en pensant que notre société est incapable de donner les outils à la hauteur du talent de ces médecins enseignants. J'ai tant lu la fameuse phrase: «Nous n'avons pas les moyens de nous payer un grand hôpital universitaire», cette phrase qui a coûté des millions en études et contre-études de faisabilité, en transports inter-établissements, en frais administratifs redondants et en rénovations d'hôpitaux en décrépitude. À tous mes anciens professeurs, je lève mon chapeau. Je vous admire encore! Vous êtes plus que des érudits, vous êtes des missionnaires!

Et le plus désolant restera toujours de penser à ces pauvres patients qui sont traités de façon inhumaine dans nos corridors d'urgence, à Joliette comme à Montréal. Heureusement, le personnel continue de donner son 125% chaque jour, et les patients nous le rendent au centuple: c'est là notre énergie motrice quotidienne. Au congé, ils ont évidemment des commentaires peu élogieux à l'égard de l'oreiller manquant, de la nourriture déplaisante, des heures d'attente et de la lumière allumée en continu, mais une constante demeure: ils nous remercient de notre écoute et de l'accompagnement offert dans leurs pires moments de vulnérabilité.

Voilà toute notre société québécoise dévoilée: peu de ressources physiques, des ressources humaines exceptionnelles, et cette éternelle indécision qui nous coûte tant: «A-t-on les moyens?»

L'auteur est médecin et adjoint pédagogique à l'Unité de médecine familiale (UMF) du Nord de Lanaudière, et professeur de clinique à l'Université Laval.