Le cardinal Jean-Claude Turcotte peut bien rendre son insigne de l'Ordre du Canada s'il le désire. C'est son droit le plus strict, et tous comprendront que le prélat souhaite ainsi réaffirmer son opposition à l'avortement en refusant de s'associer à un Ordre qui confère la même distinction au Dr Henry Morgentaler. Et pourtant, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la sagesse de l'action du cardinal.

Le cardinal Jean-Claude Turcotte peut bien rendre son insigne de l'Ordre du Canada s'il le désire. C'est son droit le plus strict, et tous comprendront que le prélat souhaite ainsi réaffirmer son opposition à l'avortement en refusant de s'associer à un Ordre qui confère la même distinction au Dr Henry Morgentaler. Et pourtant, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la sagesse de l'action du cardinal.

L'Ordre du Canada vise à honorer les personnes dont la vie a été "vouée au service d'une communauté, d'un groupe ou d'un champ d'activité".

Sans distinction.

Des catholiques, des protestants, des athées. Des avocats, des médecins, des religieux, des artistes, des travailleurs communautaires. Des pro-vie et des pro-choix. Les membres de l'Ordre se comptent maintenant par milliers et plusieurs d'entre eux ont sans doute poursuivi des objectifs contradictoires.

La merveille d'une démocratie, c'est de pouvoir rassembler dans un même forum des personnes aux idées différentes, souvent opposées, et d'en discuter dans l'espoir de dégager un consensus ou tout au moins une majorité. Certes, tous sont libres de participer ou non, et même de se retirer s'ils s'objectent fondamentalement à la présence d'un adversaire sur la même plate-forme. Mais l'objection de conscience reste l'ultime recours, à utiliser parcimonieusement.

En renonçant à l'Ordre du Canada, le cardinal Turcotte laisse un message qui dépasse sans doute son intention. L'exemple que donne un prélat aura force de conseil, voire de directive pour de nombreux catholiques. Le geste du cardinal constitue, qu'il le veuille ou non, une pression exercée sur ses coreligionnaires, incités à suivre la voie qu'il vient de tracer, incités à refuser l'honneur qu'on leur a rendu parce qu'un individu honni siège à la même table.

À qui une telle démarche rend-elle service ? Convaincra-t-elle l'Ordre du Canada de ne plus décerner d'insigne à des militants pro-choix ? Non. Incitera-t-elle les partisans de l'avortement à reconsidérer leur position ? Non. Dégagera-t-elle un consensus au sein de l'opinion publique catholique ? Non. Le geste d'éclat du cardinal Turcotte aura cependant pour conséquence de renforcer la perception du retour d'un climat d'intolérance excessive au sein de l'Église.

Évidemment, on ne s'attend pas - et on ne souhaite pas -, en matière d'avortement, que l'Église renie ses convictions quant au caractère sacré de toute vie. On aurait pu espérer, cependant, que la hiérarchie catholique tente d'engager avec les défenseurs de l'avortement un dialogue fondé sur le respect et la compréhension. En s'excommuniant de l'Ordre du Canada, le cardinal Turcotte fait marche arrière.

pallard@ledroit.com