Des entrepreneurs, spécialisés ou généraux, se désolent de voir leurs clients régler des factures beaucoup plus importantes que s’ils avaient été mieux informés sur la coordination des différentes étapes de leurs rénovations. Alors, avant de lancer un petit ou un gros chantier particulier, assurez-vous qu’il ne faudra pas en démolir la moitié s’il faut en engager un autre un ou deux ans plus tard ; et profitez-en pour vérifier s’il n’est pas possible de faire d’une pierre deux coups, histoire de réduire les coûts.

« C’est un peu le Far West dans la rénovation, tout le monde se contredit, et des entrepreneurs ne pensent qu’à faire leurs propres affaires dans leur coin. Alors que l’ordre des travaux peut changer la vie et la qualité d’un bâtiment », constate Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton. Au cours de sa carrière, il a vu nombre de travaux récents effectués avant son intervention qu’il a dû refaire en partie pour réaliser correctement son mandat. Parfois, une simple vérification préalable aurait permis d’éviter de faire gonfler une facture de façon draconienne.

« On a déjà vu des travailleurs, par exemple un réparateur de balcon qui ne fait que ça comme activité, fermer les yeux sur les autres travaux nécessaires [avant ou pendant les siens], afin de finir la job rapidement et être payé », renchérit Stéphane Lessard, président de JG Lessard et Fils, entrepreneur général. Ce n’est d’ailleurs pas forcément par mauvaise volonté, mais parfois par méconnaissance qu’un rénovateur spécialisé, connaissant mal les incidences de ses interventions sur celles des autres corps de métier, va compliquer les choses pour l’avenir.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

De nombreux duplex de Montréal datent d’un certain nombre d’années.

Ces enjeux concernent tout particulièrement les propriétaires de résidences construites entre 1920 et 1970, majoritaires à Montréal, et dont les normes sont complètement dépassées.

D’abord moi, après toit

Des exemples concrets ? Parlons toiture. En refaisant cet élément d’un bâtiment, le couvreur installera un solin métallique, bande d’étanchéité cernant le toit et assurant la liaison entre ce dernier et les murs. « Le problème, c’est qu’il va sceller sur la planité du mur existant, et que si la brique est à refaire, le solin ne sera plus bon, parce que le mur redeviendra droit. On sera donc obligés de vendre un nouveau solin au client, qui va payer deux fois pour la même affaire... », illustre M. Bouillon.

PHOTO SHAWN OLIVIER BOIVIN BLANCHARD, FOURNIE PAR JG LESSARD

Stéphane Lessard, président de JG Lessard

Autre cas, toujours concernant le toit : après avoir rénové le sien, un client de M. Lessard a constaté que de la condensation se créait en raison d’une mauvaise ventilation, entraînant la pourriture de pièces de bois. Un léger rehaussement sera ainsi certainement nécessaire pour régler le problème. « Il devra détruire la membrane neuve pour pouvoir réaliser ces travaux », indique le directeur de LG, qui explique que les vieux bâtiments, autrefois peu, voire pas isolés au niveau de la toiture, peuvent connaître ce genre de souci une fois scellés. Autre effet de l’isolation, la neige s’y accumule davantage qu’autrefois ; or, les charpentes d’époque n’ont pas été prévues pour supporter un tel poids – l’entrepreneur conseille donc d’y prêter attention.

Bref, le mot d’ordre pour remettre de l’ordre : tâchez d’obtenir un portrait plus global des besoins de votre propriété, afin de lancer les éventuelles rénovations successives de façon stratégique.

Brique touche-à-tout

Tommy Bouillon souligne que les murs, avec leur grande étendue, touchent à tous les éléments d’un bâtiment.

Avec l’entretien préalable de la maçonnerie, on est souvent capables d’obtenir tous les indices sur les autres corps de métier. La meilleure chose serait de la faire vérifier d’abord. Sinon, il ne sera pas impossible d’intervenir, mais ce ne sera pas la bonne façon de procéder.

Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton

Avec surcoûts à la clé.

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Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton

Nous avons vu l’exemple de la toiture ci-dessus, plongeons maintenant dans les fondations. En cas de rénovation, la maçonnerie devra être soutenue. Mais si le bâtiment est vieux et les ancrages fatigués, ceux-ci pourraient décrocher, ce qui entraînera des travaux supplémentaires. « Au lieu de se trouver avec une facture de 10 000 $ ou 15 000 $, les gens se retrouvent avec un montant de 75 000 $. Assurez-vous que votre mur soit stable avant, pour avoir l’heure juste », conseille M. Bouillon.

Pour les balcons neufs, même histoire que pour la toiture : les fixer sur un mur vieillissant n’est pas la meilleure idée, surtout que l’arrière des balcons est une zone particulièrement critique. « Le joint de scellant est souvent microfissuré, l’eau rentre en arrière avec le temps et endommage toute la brique, qui ne s’assèche jamais. C’est une section très faible du bâtiment », indique M. Bouillon, qui recommande de faire enlever l’ancien balcon, puis d’intervenir sur la maçonnerie et l’isolation en arrière, avant d’installer le nouveau balcon.

Pour les portes et fenêtres, c’est au cas par cas, dit-il. Mais là aussi, sceller de nouvelles fenêtres sur une maçonnerie vieillotte n’est pas idéal. Qui plus est, les travaux sur la brique peuvent dégrader des éléments neufs et leur finition. « La maçonnerie, c’est corrosif, ça fait plein de cheveux d’ange, et même si c’est protégé, tapé, toilé, la poussière fine de silice s’infiltre », prévient l’entrepreneur.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

On ne doit pas lésiner sur la planification des travaux.

Économies d’échelle

À court terme, profiter d’une intervention pour en mettre en œuvre une seconde, connexe, peut donner l’impression de faire flamber un budget. Mais sur le long terme, c’est souvent un bon coup à jouer. « Il est beaucoup plus économique de faire certains travaux en même temps que les uns à la suite des autres », assure Stéphane Lessard. Il cite ainsi la possibilité d’installer, si l’espace le permet, un isolant si l’on en vient à refaire la maçonnerie. Une grande partie du parc immobilier résidentiel montréalais antérieur aux années 1960 a été tapissé d’un papier noir ayant séché, à la faible efficacité énergétique.

Quand on ouvre les murs, c’est bon de refaire ces membranes et mettre des pare-intempéries pour couper les infiltrations d’air.

Stéphane Lessard, président de JG Lessard et Fils

On prêtera aussi attention aux occasions de rajeunir électricité et plomberie, si elles sont désuètes et non conformes aux normes actuelles, par exemple lors d’interventions dans une cuisine ou une salle de bains. « Si on dégarnit des plafonds, des murs ou des planchers dans une vieille propriété, c’est un must d’en profiter pour les refaire. Si on ne veut pas tout briser, on peut au moins y aller par sections, ou essayer de recourir à une technique pour faire passer le filage partout », lance le président de JG Lessard.

Il préconise fortement de ne pas penser uniquement à l’esthétique de sa salle de bains ou de sa cuisine en cas de rénovation, mais aussi à investir dans les éléments camouflés. « Beaucoup de gens se soucient du tape-à-l’œil, mais en tant que professionnel, je suis plus conscient de ce qu’il y a derrière les murs. Un de mes clients souhaite refaire sa cuisine et sa salle de bains : il est mieux de faire l’une ou l’autre à deux moments différents, et de faire complètement la job, plutôt que de faire les deux à moitié et ne pas bien les faire », croit-il.