Vous faites un ultime tour de la maison déserte. L’écho de vos pas rencontre celui de vos souvenirs. Le moment est doux-amer.

Vous aimeriez comprendre ce qui serre votre gorge, mais vous n’arrivez pas à démêler les émotions qui s’entrelacent. Chaque fois, le lot de boîtes vient avec un léger vertige. Vous devez faire le tri dans votre vie, choisir consciemment de garder et de laisser. Vous savez bien que cette fin mène à de nouveaux possibles, mais vous savez aussi que le recommencement pourrait vous décevoir. Entre l’excitation et la peur, vous ignorez sur quel pied danser.

La belle affaire, c’est qu’une fille qui écrit dans La Presse a lu un essai sur le sujet et qu’elle n’a pas su résister à l’envie d’en citer plusieurs passages dans une chronique. Ces extraits de Changements d’adresse : une philosophie du déménagement vous ont permis de mieux comprendre votre maelstrom émotif.

Vous avez d’abord appris que dans son essai publié aux Éditions de l’Aube en 2022, Thibaut Sallenave conçoit le lieu habité telle « une réserve de temps vécu et d’avenir imaginé ». Ça vous a fait réfléchir.

C’est vrai, quand vous avez posé vos boîtes ici, vous aviez des plans. Puis, la routine s’est frottée aux fantasmes… Peut-être êtes-vous déçu des années passées en ces lieux ou plutôt reconnaissant d’avoir pu vous y déposer. Dans tous les cas, lorsque vous faites un dernier tour de piste du logement, c’est bien plus qu’une suite de pièces vides que vous observez, c’est une absence profondément habitée. « Les murs gardent la trace des tableaux, la décoloration des peintures ou du plancher révèle par contraste le volume des meubles désormais absents », écrit Thibault Sallenave.

Tout indique une vie sur le départ, une vie déjà ailleurs et qui s’épuise peu à peu dans les vestiges qu’elle laisse, comme des pas s’effacent sur le sable ou comme refroidit peu à peu le fauteuil longtemps occupé.

Thibaut Sallenave, auteur

Votre passé est une présence fantomatique qui envahit maintenant l’espace libéré. Et ne reviennent pas que les souvenirs, mais aussi les doutes ou les remords. Vous pensez que vous auriez pu habiter ce lieu différemment, y faire d’autres choix, y vivre une autre existence. Bonjour, mélancolie.

« Qui suis-je, dans cet appartement vide où toute ma vie vient d’être chargée dans un véhicule de déménagement ? poursuit le philosophe. Non pas “personne”, bien sûr. Mais un être en attente. Un être dont l’existence se réduit à la littéralité de cette extériorité à soi, et qui ne trouve à se raccrocher provisoirement qu’à ses souvenirs, ses projets, et quelques affaires emportées dans un sac de voyage. »

On se sent petit quand on ne tient plus qu’à quelques cartons. En même temps, peut-être vivez-vous une certaine euphorie. Bientôt, vous emménagerez dans un espace qui vous permettra de vous réinventer… « Ce n’est pas encore [v]otre lieu de vie, mais c’est déjà l’adresse d’une vie possible », écrit joliment Thibaut Sallenave.

PHOTO ALEX POTEMKIN, GETTY IMAGES

« On se sent petit quand on ne tient plus qu’à quelques cartons », explique notre chroniqeuse.

Loin du romantisme, il souligne du même coup qu’on peut idéaliser le renouveau du déménagement. Vous partez à la campagne pour vous libérer de l’étroitesse de la ville ? Vous changez de coin pour habiter dans un quartier à la mode ? Vous avez trouvé une cabane qui reflète davantage vos valeurs ou un nid pour guérir vos blessures ? Fort bien, mais vos habitudes risquent de revenir s’ancrer à votre quotidien, qu’importe les murs qui vous protègent. Parfois, le nouveau départ n’est qu’une illusion.

En attendant, « l’entre-deux-lieux » du déménagement, comme le nomme le philosophe, vous plonge dans un certain inconfort. Il vous demande de vous déconstruire pour vous retisser ailleurs. C’est épuisant.

D’autant plus que lorsque vous pousserez la porte de votre nouvelle demeure, dans un instant, c’est une autre forme de malaise qui vous happera : « Car l’empreinte de ceux qui l’ont occupée longtemps, ou au contraire l’atmosphère d’un lieu longtemps déserté, éveille immanquablement la perception d’une puissante étrangeté », croit Thibaut Sallenave.

L’auteur associe même ce nouvel espace à habiter à une « puissance qui doit être apprivoisée ». Ça sonne intense, mais vous la reconnaîtrez bien vite aux sons énigmatiques de la première nuit, aux objets oubliés par les locataires précédents, aux murs qui dicteront la manière dont vous devrez placer vos meubles…

Heureusement, ce n’est pas votre premier rodéo. Vous savez que toute puissance peut être apprivoisée. Que ce déménagement soit désiré ou non, un matin, vous observerez la poussière flotter dans un rayon de lumière et vous vous sentirez à la maison.

Quand vous fermez la porte derrière vous, disant adieu à des pièces vides chargées d’une part de votre vie, vous comprenez que les émotions qui vous habitent ont toutes les raisons du monde d’exister. Aussi mélangées soient-elles.

Après tout, vous changez de chapitre et vous êtes humain.

Changements d’adresse : une philosophie du déménagement

Changements d’adresse : une philosophie du déménagement

L’Aube

239 pages