Même les locataires aiment regarder les émissions de rénovations. On n’a pas le droit d’avoir des animaux, à peine des enfants, on doit demander la permission au proprio pour changer le moindre truc dans son appartement, mais on peut triper sur ces émissions où, en une heure, on voit la transformation de maisons et de condos, comme on regarde les « avant/après » de chirurgie esthétique. En sachant qu’on ne pourra jamais se payer de tels face-lifts.

Moi, ce que j’aime, ce sont les rénovations de cuisine. J’adore cuisiner. J’ai toujours envié ces gens qui ont deux fours, des casseroles accrochées au plafond, et surtout un îlot avec poêle encastré et de la place en masse pour couper les aliments. Il me semble que je concocte mes recettes entre le toaster et la machine à café depuis toujours. Mais on s’en fout : le plus important est d’aimer cuisiner.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Vue de la maison

Dans la maison dont on vient d’hériter de mes beaux-parents, Mo et Djo, la cuisine est petite, « à l’européenne ». Ce n’est pas là qu’on pourra stocker des vivres comme des survivalistes. Je songe à acheter un congélateur de type tombeau pour le sous-sol, où on pourra conserver nos restes ou cacher un cadavre. Mais cette cuisine, je l’ai toujours trouvée jolie et chaleureuse, même si elle ne correspond pas à mon rêve de l’îlot, celui qu’on voit dans tous ces téléromans où les gens habitent dans des maisons immenses et immaculées, à aires ouvertes, jamais en bordel. Dans la mienne, il y a un passe-plat et un bout de cadre de porte à l’entrée qui a été vaguement retapé par Mo, après que Zara, le rottweiler de Djo, le chien le plus gentil que j’ai jamais rencontré, a mangé le mur dans sa démence sénile – elle est morte à 16 ans, paix à son âme.

Bref, j’ai trop regardé l’émission Vendre ou rénover quand on a hérité de la maison familiale de mon chum. Les émissions de rénos finissent par nous fucker le cerveau, j’en suis persuadée. Ce qu’on réussit à y faire en une semaine, et dont on présente le résultat en une heure, donne envie de tout abattre et de repartir à zéro comme Joe Bocan.

Ce fantasme-là donne des hérésies comme ces gens qui enlèvent des moulures centenaires au plafond d’une vieille maison pour faire des murs lisses – c’est plus laid après qu’avant.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Cadre de porte du salon

Je regardais la cuisine de mon beau-père en pensant à la pénurie de main-d’œuvre, aux coûts des matériaux, et surtout au risque de faire des dégâts qui amènent d’autres dégâts dans une maison centenaire, et il n’était pas question d’abattre le mur porteur, juste pour accomplir le rêve de l’îlot. En pleine crise inflationniste, je ne vais pas m’endetter pour ça, alors on va rester à l’européenne. Tout le monde a des cuisines à aires ouvertes avec un îlot, mais qui peut se vanter d’avoir un passe-plat, hein ? Il faudra juste acheter un poêle au gaz plus grand et scier un peu le comptoir pour qu’il rentre, parce qu’on ne pourra jamais cuire une dinde pour recevoir la famille à Noël avec ce minuscule poêle qui est là, particulièrement laid aussi.

Vous comprendrez ici que nous ne sommes pas en train de faire affaire avec des designers avant de nous installer. On se débrouille. On fait une croix sur des trucs, on mise sur le plus important. J’ai passé un mois à tester mes fesses sur des divans dans tous les magasins de la ville, et le divan de mes rêves coûtait environ 4000 $. J’en ai finalement acheté un sur Marketplace à 600 $, soit le prix exact du chèque du gouvernement Legault envoyé à mon chum.

Mais la leçon à retenir est qu’il faut y aller un jour à la fois. Nous ne vivons pas dans une émission de rénovations. Il est impossible que tout soit arrangé comme nous le voudrions avant de nous installer. C’est un peu ce qui me faisait faire des cauchemars, ces détails que je voulais régler en quelques semaines. Cette pression de la perfection.

Si nous voulons vivre dans cette maison, il faudra penser sur le long terme. Comme ceux qui l’ont construite. Comme Mo et Djo. Pas comme les flippeux de maisons.