C’est dans la bonne humeur, mais en proférant des messages opposés, que le président de la Chine, Xi Jinping, et la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, ont accueilli 2024.

Bien assis sur scène, le leader communiste a annoncé avec un grand sourire que le temps de la réunification de la Chine continentale qu’il dirige d’une main d’acier avec l’île taïwanaise autogouvernée est inévitable. Et que tous les Chinois des deux côtés du détroit de Taïwan profiteront de la « gloire de la réjuvénation » nationale, un de ses thèmes chouchous. Un mélange de rhétorique joyeuse et de menaces à peine voilées alors que les forces armées chinoises multiplient les actes d’intimidation à proximité de l’île de 23 millions d’habitants.

Le même jour, la présidente Tsai, s’adressant à ses concitoyens dans le cadre des traditionnels feux d’artifice, a pour sa part parlé de collaboration entre les deux entités politiques, mais en faisant la promotion d’une « relation durable » basée sur le dialogue, la paix et l’équité. Un mélange de rhétorique et de tentative de calmer le jeu.

En toile de fond, des élections parlementaires et présidentielle qui auront lieu le 13 janvier à Taïwan.

On sait d’ores et déjà que Mme Tsai cédera sa place à un nouveau président.

PHOTO SAM YEH, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le vice-président et candidat à la présidentielle pour le Parti démocratique progressiste, « William » Lai Ching-te (manteau vert), jeudi

Les trois candidats sont des hommes et son dauphin, « William » Lai Ching-te, actuel vice-président, est en avance dans les sondages sans que les jeux soient faits.

On sait aussi que le parti de la présidente sortante, le Parti démocratique progressiste (DPP), au pouvoir depuis 2016, aura du fil à retordre et risque de perdre le contrôle du Parlement.

Pourquoi ? Le résultat des pressions de la Chine, qui préférerait que le Kuomintang – l’ancien parti de la dictature de Tchang Kaï-chek – l’emporte ? Reconverti à la démocratie, le KMT, comme l’appellent les Taïwanais, est aujourd’hui plus conciliant face à la Chine communiste, mais sans embrasser l’idée d’une réunification imminente.

PHOTO ANN WANG, REUTERS

Le maire de Nouveau Taipei et candidat à la présidentielle pour le Kuomintang, Hou Yu-ih, vendredi

Non, la réponse ne se trouve pas là. Du moins, pas principalement. S’il y a changement à la tête du pays, ce serait tout simplement parce que Taïwan est une démocratie et que les Taïwanais comptent bien se prévaloir de leur vote pour tenter d’améliorer leur sort.

Lors d’un reportage dans l’île en février dernier, on me parlait déjà de l’usure du pouvoir et des aspirations des jeunes qui dénoncent le coût des logements, ont de la difficulté à quitter le nid familial et à fonder une famille. Taïwan a un des taux de fécondité les plus bas au monde, avec 0,87 enfant par femme.

Et les menaces de la Chine dans tout ça ? Elles jouent un rôle, mais ce rôle s’apparente plus à un de bruit de fond agaçant qu’à une chanson thème.

Et c’est là toute la beauté de Taïwan. Même si l’île est à un coup de patte de l’immense dragon chinois, elle s’occupe de ses affaires et suit son propre chemin.

« En dépit de la rhétorique sensationnelle sur les risques d’ingérence massive ou de conflit, dans le pays, on sent de la résilience, et la campagne électorale est remarquablement normale. Il y a des inquiétudes liées aux questions géopolitiques, mais les questions socio-économiques ainsi que l’appartenance et la confiance envers les partis pourraient être le moteur derrière les résultats », prédisent conjointement Yves Tiberghien, professeur de l’Université de Colombie-Britannique, et son collègue Tsai Chung-min, de l’École d’économie et de science politique de Taipei, dans un article qui sera publié par la Fondation Asie Pacifique.

La résilience taïwanaise fait d’ailleurs le charme de cette île d’exception, qui doit composer avec un statut international flou. Même si Taïwan a sa propre monnaie, son propre gouvernement et une Constitution, à peine une dizaine de pays lui reconnaissent un statut d’État. La Chine – qui tient mordicus à la politique d’« une seule Chine » et qui soutient que Taïwan fait partie de son giron – oblige les acteurs internationaux à choisir avec qui ils entretiendront des relations diplomatiques formelles.

Cela n’empêche pas des pays comme le Canada, les États-Unis et bien d’autres de lier des liens culturels, économiques et politiques avec Taïwan.

On nage ici en pleine ambiguïté, mais sur le terrain, le caractère singulier de Taïwan, lui, saute au visage. Même si une grande partie de la population est issue de l’ethnie han, comme en Chine communiste, Taïwan abrite aussi plusieurs minorités ethniques, une population autochtone et une diversité linguistique qui lui sont propres.

Occupée par le Japon de 1895 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Taïwan a toujours conservé une partie de l’héritage culturel colonial, et ce, même si le général Tchang Kaï-chek défait y est débarqué en 1949 avec un million de fonctionnaires et de militaires chinois après avoir perdu le pouvoir en Chine continentale. La dictature qu’il a mise sur pied a duré 38 ans, mais a fini par faire place à l’une des démocraties les plus robustes de la région, malgré son jeune âge.

C’est ce système politique, à l’antithèse de celui en vigueur en Chine, qui sera en vedette lors de l’élection de samedi prochain. Ce jour-là, Xi Jinping aura beau s’égosiller sur la réunification, les urnes parleront encore plus fort.