Le général Lloyd Austin avait un avertissement important pour le gouvernement israélien, la semaine dernière.

« Dans ce genre de combat, le centre de gravité est la population civile, a-t-il dit. Si vous la poussez dans les bras de l’ennemi, vous remplacez une victoire tactique par une défaite stratégique. »

Lloyd Austin n’est pas un militant pacifiste. L’homme a atteint le grade de général « quatre étoiles », plus haut rang de l’armée américaine contemporaine. Il s’est fait valoir en Irak et en Afghanistan, où les États-Unis ont livré des combats souvent douteux, parfois illégaux.

Il a été nommé secrétaire à la Défense sous Joe Biden. Sa nomination a été approuvée à 93 contre 2 par le Sénat en 2021, à une époque où tout est prétexte à division politique violente.

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Lloyd Austin

Il représente donc la force armée la plus puissante au monde. Du pays qui fournit le plus d’aide militaire au monde. En particulier quelque 3 milliards US à Israël.

Il n’est pas un militant pacifiste, mais il exprime en termes militaires ce que disent les organisations humanitaires depuis des semaines – des années, en fait. La légitime défense militaire, quand elle devient une vengeance armée qui tue, blesse, réduit à la misère extrême les civils palestiniens, n’est pas seulement une violation des obligations d’Israël. C’est, d’un point de vue de sécurité nationale israélienne, une stratégie contre-productive, dangereuse.

Pour que cela vienne du secrétaire à la Défense, pour qu’il dise publiquement avoir tenté d’inciter le gouvernement Nétanyahou à la retenue, il faut que le niveau d’exaspération politique soit élevé à Washington.

Joe Biden a tenté de passer ce message privément, puis publiquement, mais en le diluant. Le secrétaire d’État Antony Blinken a été encore plus transparent.

Clairement, ce message ne passe pas, même s’il vient d’amis. De ceux qui signent les plus gros chèques, qui envoient le plus d’équipement militaire, qui soutiennent le mieux Israël à l’ONU comme partout ailleurs.

Je ne plaide pas ici pour un cessez-le-feu unilatéral. On ne fait pas la paix avec le Hamas : sa charte inclut la destruction d’Israël, ses militants sont prêts à mourir, à tuer des innocents pour la cause.

Après le massacre du 7 octobre, l’État israélien a plus que le droit de se défendre, il en a l’obligation. La colère est grande en Israël, d’ailleurs, face au gouvernement, pour n’avoir pas pu prévenir ce pogrom géant ayant fait au moins 1200 morts et mené à la prise de 240 otages, dont 137 sont encore détenus.

Les meurtres, décapitations, viols du Hamas sont des crimes contre l’humanité qui exigent une réponse militaire. Ceux qui excusent cette tuerie au nom des injustices historiques dont les Palestiniens ont été victimes justifient le terrorisme et la barbarie.

Quelle réponse militaire ?

Les crimes du Hamas sont aussi aux dépens des Palestiniens. Utiliser un hôpital pour dissimuler des armes, des installations terroristes est « illégal » au regard du droit humanitaire. Ce n’est pas d’hier que le Hamas utilise les civils comme boucliers humains, de toutes sortes de manières.

Il est donc extrêmement compliqué de mener une opération militaire contre des terroristes dissimulés dans le tissu urbain, ou carrément planqués près des institutions civiles essentielles.

Selon l’armée israélienne, 7000 « terroristes ou sympathisants » ont été tués à Gaza depuis deux mois. Le ministère de la Santé – du Hamas – parle de près de 18 000 morts, dont 7729 enfants et 5153 femmes.

Quand ces chiffres sont publiés, du côté israélien, on en entend plusieurs dire qu’ils sont de la propagande et que les « enfants » tués sont des « terroristes adolescents ».

Comme quoi chacun justifie le sang versé des « autres ».

Les rapports indépendants sont pourtant clairs : les destructions ont dépassé de loin la lutte antiterroriste. Gaza vit une « catastrophe humanitaire ». C’est quoi, une catastrophe humanitaire ? Des milliers de malades, de blessés, de déplacés entassés dans des camps où il manque d’eau, de toilettes, de soins de base.

Dimanche, le New York Times racontait dans le détail ce qui est assez connu depuis un certain temps : le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a autorisé le financement du Hamas par le Qatar à coups de centaines de millions de dollars par année. C’était une manière de maintenir une certaine tranquillité, en s’assurant que les services de base soient maintenus – car le Hamas n’est pas seulement un groupe terroriste, c’est le gouvernement à Gaza.

L’objectif était aussi de diviser politiquement les Palestiniens : l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, le Hamas à Gaza. Les deux ne pouvant jamais s’entendre, toute tentative de paix signée avec Israël est impossible. Or, Nétanyahou et les ultranationalistes ou religieux de son gouvernement actuel ne veulent pas de paix avec les Palestiniens. Ils veulent continuer de coloniser illégalement leurs territoires et les marginaliser encore davantage. Un Hamas fonctionnel sert à diviser leur pouvoir et à affaiblir la cause palestinienne ; la chose a été exprimée en toutes lettres par Nétanyahou lui-même à un journaliste israélien en 2012 : une bonne manière d’éviter la solution des deux États est de maintenir un Hamas suffisamment fort – mais pas trop. Ainsi, on peut prétendre n’avoir aucun interlocuteur unique, encore moins crédible, pour négocier une paix durable.

Nétanyahou et les politiciens de cette droite nationaliste israélienne ne se doutaient pas que cet argent servirait aussi à financer une action terroriste de l’envergure de celle du 7 octobre – sans oublier l’aide de l’Iran. La capacité militaire du Hamas a été sous-estimée systématiquement. Ce qui fait aussi que Nétanyahou est l’objet d’intenses critiques en Israël, un pays extrêmement divisé politiquement, faut-il le rappeler. Mais l’heure est à la guerre, pas à la politique, après le traumatisme historique du 7 octobre.

Jusqu’où ira cette guerre ? Les amis d’Israël partout dans le monde, y compris le Canada et les pays européens, ceux qui ont été solidaires du premier jour, disent que la réplique actuelle est trop aveugle et manque de « retenue ». Ils n’utilisent pas l’expression taboue « crime de guerre », mais c’est de cela qu’on parle.

On n’en est pas à un quelconque plan de paix.

Mais c’est quoi, le plan de guerre ?