Les Allemands prennent très au sérieux la période de l’avent, ces quatre semaines qui mènent à Noël. Les marchés de Noël occupent les centres-villes du pays. La musique des Fêtes y a déjà le monopole. Dans ce décor féérique, dans lequel je me suis plongée la semaine dernière, la forte présence policière détonne. Étonne.

Et cette police sévit. Mercredi, deux adolescents de 15 et 16 ans ont été arrêtés. Selon les forces de l’ordre, ils fomentaient en ligne un attentat contre un marché de Noël de Leverkusen, près de Cologne. Les deux jeunes hommes avaient aussi planifié de fuir le pays pour se joindre à la branche de l’État islamique en Afghanistan, ont affirmé les enquêteurs. Un autre attentat – visant encore un marché de Noël – aurait aussi été déjoué en Basse-Saxe, selon la radio publique du nord du pays, NDR.

Ces évènements contribuent à faire monter la tension dans un pays qui est déjà sur le qui-vive. Depuis les attentats terroristes du Hamas du 7 octobre en Israël, qui ont mené à une réponse israélienne d’une dureté sans précédent dans Gaza, les services de renseignement de l’Allemagne sont en état d’alerte, craignant un attentat sur le sol allemand perpétré par des islamistes radicalisés.

Ici, personne n’a oublié qu’en 2016, un camion-bélier a tué 12 personnes et en a blessé 48 autres au nom de l’État islamique dans un marché de Noël archiconnu de Berlin.

L’Allemagne n’est pas la seule à avoir relevé son niveau d’alerte. La France voisine – qui a subi trois attaques au cours des derniers mois – est aussi sur les dents. Il suffit de marcher dans l’aéroport Charles-de-Gaulle, où tous les écrans rappellent aux voyageurs que la menace flotte et où les policiers armés sont très visibles, pour sentir la nervosité ambiante. La situation est la même en Belgique, en Autriche, en Slovénie et en Bosnie-Herzégovine. Le contraste avec l’ambiance au Québec est marquant.

« Oui, on sent que la peur est généralisée en Europe », m’a dit à ce sujet Michael Ignatieff, que j’ai joint à Vienne à mon retour de Hambourg. L’ancien chef du Parti libéral du Canada qui est recteur émérite de l’Université d’Europe centrale note que ce sentiment n’est pas né au lendemain du 7 octobre.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, beaucoup sentent que les frontières européennes sont à risque, que le conflit ne va pas s’y arrêter. Les évènements au Proche-Orient contribuent aussi à cette peur. Les gens craignent notamment l’élargissement de ce conflit et les impacts sur l’économie de l’Europe.

Michael Ignatieff, recteur émérite de l’Université d’Europe centrale

Dans les cercles que j’ai fréquentés lors de mon récent périple familial, c’est une autre menace qui retenait l’attention : celle de la montée de l’extrême droite. Et pour cause. La mouvance politique – qui se nourrit de discours anti-immigration et plus particulièrement antimusulmans – s’étend à travers le continent comme une tache d’huile. Elle est au pouvoir ou participe à la coalition au pouvoir en Italie, en Suède, en Slovaquie, en Finlande et en Hongrie. Le 22 novembre, le politicien néerlandais Geert Wilders est arrivé premier aux élections législatives. Et en Allemagne, dans des élections régionales du début octobre en Bavière et en Hesse, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a fait des avancées importantes, confirmant que son attrait traverse la frontière psychologique entre les anciennes Allemagnes de l’Est et de l’Ouest.

L’Europe se retrouve donc dans un engrenage politique inquiétant.

D’un côté, les remous sur la scène internationale fragilisent le tissu social et exacerbent la peur et les tensions politiques. De l’autre, l’extrême droite et la droite radicale sont prêtes à surfer sur les craintes et l’incertitude pour gagner de nouveaux électeurs.

Le tout pourrait se traduire dans les urnes au cours de la prochaine année. En Allemagne, où des élections régionales doivent avoir lieu dans deux régions, la Thuringe et la Saxe, mais aussi lors des élections du Parlement européen en juin.

« Je m’attends à de grands succès électoraux de l’extrême droite dans les années à venir, m’a d’ailleurs dit à ce sujet Frédéric Mérand, directeur du département de science politique de l’Université de Montréal. Ce qu’on observe, c’est que le centre gauche européen s’est effondré autour de 2005-2010, et là, c’est le centre droit, les partis conservateurs traditionnels, qui s’effondrent », note l’expert de politique européenne.

Pour limiter la casse, ces partis de la droite traditionnelle ont tendance à récupérer une partie du discours de l’extrême droite. « En agissant ainsi, ils légitiment l’extrême droite. Car entre la copie et l’original, les électeurs choisissent l’original », souligne M. Mérand.

Est-ce que la marche vers l’expansion du pouvoir de l’extrême droite et de la droite illibérale en Europe est inéluctable ? Absolument pas. Les élections d’octobre en Pologne en sont la preuve. La mobilisation des jeunes et des femmes a eu raison du parti Droit et justice. Ce parti qui tire son inspiration de la Hongrie de Viktor Orbán faisait craindre une dérive autoritaire.

« Oui, l’Europe a peur et ça a des conséquences, mais on ne peut pas dire que les jeux sont faits, dit Michael Ignatieff. Ça dépend de trop de choses, mais notamment, ça dépend du centre qui doit retrouver son courage. Qui doit trouver le moyen de répondre au désarroi de la population. »

C’est le souhait que je déposerai sous mon sapin de Noël.