Comme la marmotte qu’on enfonce dans le trou de droite, mais qui ressort par celui de gauche, Donald Trump ne part jamais et revient tout le temps.

Je me souviens de la sorte de soulagement physique ressenti après sa défaite électorale, en novembre 2020, et de ma cure de désintoxication qui a suivi.

Peut-être dans 20 ans regarderons-nous les années Trump comme une sorte de parenthèse délirante de la vie américaine ? De la même manière que nous revient, comme dans une sorte de brume, l’image d’un maire de Toronto qui fumait du crack il n’y a même pas 10 ans.

Est-ce vraiment arrivé ?

Trente mois plus tard, il est là. Il est très, très là. Et tout indique qu’il sera le candidat républicain à la présidence l’an prochain. Après le flop du lancement de la campagne de Ron DeSantis cette semaine, c’est de plus en plus probable.

PHOTO CHANDAN KHANNA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Ron DeSantis, gouverneur de la Floride et candidat à l’investiture républicaine en vue de la présidentielle américaine de 2024

Dans le paragraphe que je viens d’écrire réside le mystère de la survie politique de Trump.

DeSantis fait une gaffe en parlant de la guerre en Ukraine cet hiver : il plonge de 10 points dans les sondages.

Il a l’air d’un amateur dans un mauvais Zoom sur Twitter : il plonge encore plus bas.

Donald Trump, pendant ce temps, est déclaré agresseur sexuel et menteur par un jury civil ce printemps. Conséquence ? Rien. Il est de loin le favori des gens de son parti.

Il a redit tout récemment qu’il accordera le pardon à la plupart des personnes emprisonnées pour avoir envahi le Capitole. Des « gens très bien » qui ont tenté d’empêcher la confirmation d’un résultat électoral, causant la mort d’un policier et des blessures chez plus de 100 autres. Cette semaine justement, le leader des « Oath Keepers », un groupe d’extrême droite, a été condamné à 18 ans et demi de pénitencier pour tentative de renversement du gouvernement. Est-il parmi cette « plupart » de « gens très bien » ?

Dans un parti officiellement sensible à la loi et l’ordre, ça devrait normalement être considéré comme une gaffe pour un politicien. Mais pour Trump, ça passe très bien, ça ne change rien. Ni sa condamnation du FBI, de la CIA, des procureurs, bref, de tout l’appareil de répression du crime et du renseignement.

Sa société, la Trump Organization, a été condamnée à une amende de 1,6 million pour fraude fiscale. Bof !

Il a été accusé devant la cour criminelle de fraude pour le versement d’argent de sa campagne à l’actrice porno Stormy Daniels. Il aura un procès l’an prochain. Re-bof !

Il fait l’objet d’une enquête en Géorgie pour avoir tenté d’entraver le travail des responsables des élections. Il fait l’objet d’une enquête par un procureur spécial pour incitation à l’insurrection pour l’invasion du Capitole de janvier 2021. Ah, oui, il y a aussi les documents top secret dans son garage.

Bof, bof, bof et bof.

Comment ne meurt-on pas politiquement de tout ça ?

Des républicains qui méprisaient « l’homme » Trump m’ont expliqué l’appuyer pour des raisons religieuses. Ou fiscales. Ou pour qu’enfin les républicains gagnent, après avoir perdu avec des « mister nice guy » – John McCain, Mitt Romney.

Or, justement, il a perdu en 2020. Il a eu moins de votes que sa rivale en 2016. Son parti a mal fait aux élections de mi-mandat de 2018 et 2022.

Pas grave : il trône encore.

L’occasion est belle pour les républicains, pourtant, de changer pour un candidat au-dessus de tout soupçon juridique.

Mais comme dans une secte, le chef est l’objet d’un culte inébranlable de la personnalité de la part de ce qu’on appelle sa « base », qui n’est pas petite.

La plupart des Américains ne veulent rien savoir d’un match revanche Trump-Biden, d’après un sondage publié cette semaine. Mais seulement le tiers des républicains ne veulent pas que Trump soit leur candidat. La plupart des démocrates, eux, préféreraient un autre candidat que Biden. Autrement dit, la ferveur partisane dont Trump est l’objet dans son parti ne se compare même pas.

Tout peut changer, bien sûr, mais ce qui est le plus probable, c’est que les Américains aient le choix l’an prochain entre un homme qui aura 82 ans au début de son prochain mandat, ou un candidat qui aura trois ou quatre procès criminels à gérer.

J’ai cru un temps que la série de défaites électorales de Trump et ses ennuis judiciaires convaincraient au moins les républicains d’une chose : ils ne peuvent plus gagner avec lui. Les « indépendants », ce bloc entre les deux partis qui fait ou défait les gouvernements aux États-Unis, ne sont pas très enclins à voter pour lui. C’est un repoussoir. Bon nombre de républicains le pensent, certains osent même le dire publiquement. Ce n’est pas pour rien que tant d’argent va vers DeSantis.

Mais encore faut-il être choisi par les électeurs du parti. Et plus ça va, plus ceux-ci appuient Trump. Bonne chance pour tasser ce nihiliste démocratique sans qu’il détruise tout sur son passage pendant l’automne et les primaires.

Je n’aurais pas dû le comparer à la marmotte, animal paisible qui hiberne six mois durant.

Trump ne connaît pas le repos.