N’étant pas connu exactement comme le gars le plus techno de La Presse, j’ai cru que c’était moi, le problème.

Il était 18 h 03, et depuis trois minutes, j’étais sur le compte Twitter d’Elon Musk pour assister à cette première « historique » : le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, allait annoncer sur le réseau social qu’il se présente contre Trump pour l’investiture républicaine.

Clic, clic, reclic…

Rien.

« Lancement bientôt ! », disait le compte. Quelques centaines de milliers de personnes étaient branchées. Il ne se passait rien. Je commençais à rager quand je me suis rendu compte que c’est le système qui avait planté.

Hon, hon, hon, hon, hon, si ça fait pas pitié tout ça.

Je ne sais pas pour qui le ratage est le pire : le symbole vivant du génie futuriste triomphant, Elon Musk, qui aurait été viré de la radio étudiante ; ou le politicien floridien de 44 ans qui veut montrer le visage neuf du conservatisme rétrograde.

Au bout de 20 minutes, on a eu droit au son, avec toutes sortes de problèmes techniques.

Songez que Tony Marinaro fait des podcasts de hockey avec images en direct sur Twitter depuis son sous-sol de LaSalle, mais que le propriétaire de Twitter n’est pas foutu de diffuser un évènement audio.

« Nous sommes désolés pour les pépins techniques, mais c’est la preuve que cet évènement est un succès », a dit le coanimateur.

« C’est imparfait, mais authentique ! », a renchéri Musk.

Un succès, tu parles. À la fin de l’heure, il y avait 301 000 personnes à l’écoute. Pas exactement un triomphe. Le compte de Musk fait état de 140 millions d’abonnés…

Et même là, même avec ce petit groupe, pouf, la congestion. Quoi, personne n’avait prévu cet engorgement – somme toute minimal ?

On dira ce qu’on voudra de Donald Trump, mais lui au moins savait comment utiliser Twitter à son avantage – jusqu’à ce qu’il en soit banni. Quel délice pour lui, ce four médiatique de son rival numéro 1. Déjà, depuis plusieurs mois, Trump ridiculise son ancien allié à répétition.

Et malgré tous ses ennuis judiciaires passés, présents et futurs, l’ancien président mène largement sur DeSantis chez les républicains, et de plus en plus chaque semaine (un sondage CBS-YouGov du début du mois auprès des électeurs républicains plaçait Trump à 58 %, contre 22 % seulement pour le gouverneur de Floride).

DeSantis, lui, n’a pas même nommé Trump une seule fois dans ce « lancement ». Bien sûr, les allusions étaient nombreuses : lui ne fera pas que « parler », il va agir. Il ne fera pas que tweeter, il fera des lois sur l’immigration illégale, la bureaucratie arrogante, la sécurité publique, etc. Et lui va « gagner » – façon de dire que Trump est un perdant.

Mais au fond, son « programme » est très difficile à distinguer de celui de Donald Trump. Même hostilité envers Washington, les « élites », les médias traditionnels. Même méfiance envers les institutions et « le gouvernement ». Même volonté de restauration d’une Amérique perdue, moins compliquée, plus fière…

Dans une entrevue l’hiver dernier, il disait que sur la COVID, il aurait eu une politique moins restrictive que Trump et congédié Anthony Fauci. Et bien sûr, sa croisade contre le « wokisme » et tout ce qui s’appelle inclusion est un thème encore plus vibrant chez lui.

Mais mercredi soir, pourtant, quand enfin on a eu le son de sa voix, on avait de la difficulté à voir ce qui le ferait passer en avant de Trump. Surtout s’il a peur de l’attaquer – comme à peu près tous les autres.

Il disait l’hiver dernier qu’il fallait une Maison-Blanche où les choses seraient accomplies, sans drame quotidien. Façon de vendre une sorte de trumpisme doux, moins strident, plus compétent.

C’est aussi du trumpisme… sans divertissement. Du trumpisme plate. Du trumpisme beige, ce qui est une contradiction dans les termes. Jusqu’ici, ça ne pogne pas du tout.

Pourquoi au fond choisir la version « veilleuse de nuit » du même programme quand on peut avoir les projecteurs, la boule miroir et les feux d’artifice pour le même prix ?

Parce que Trump est incompétent et immoral aux yeux de nombre de républicains, qui veulent la même saucisse, mais avec un autre chef.

Si c’est vraiment ce qui les distingue, il faudra bien qu’il le dise autrement que par des sous-entendus, et qu’il l’attaque pour vrai. Qu’il montre que Trump est un « loser ».

Pour l’instant, c’est mal barré.

Il a eu peur de porter le moindre coup à Trump. En s’associant imprudemment au clownesque Elon Musk, il pensait faire un pied de nez aux télés traditionnelles et se montrer formidablement moderne. Il a plutôt l’air en ce moment d’un fameux deux de pique devant tout le pays.

Hâte de voir les prochains sondages ce jeudi…