Amber Duke savait pertinemment que si elle et ses compagnons de combat ne trouvaient pas le moyen de parler de l’avortement autrement, les carottes étaient cuites au Kentucky.

Lors des élections de mi-mandat de mardi, plus de 60 % des électeurs de l’État ont voté pour que le politicien ultraconservateur Rand Paul — figure de proue du Tea Party et militant antiavortement — continue de les représenter au Sénat, à Washington.

À la Chambre des représentants ? Ils ont choisi quatre républicains pour cinq sièges. Et dans la législature de l’État, les républicains ont aussi une majorité écrasante. L’État — en plein cœur du pays — est peint en rouge de bord en bord. Et il est profondément religieux. Près de 75 % de la population se dit chrétienne, dont 50 % d’évangéliques et 10 % de catholiques.

Donc, dans ce contexte, comment les militants pro-choix ont-ils réussi à mobiliser les mêmes électeurs pour qu’ils votent mardi à 52 % contre un amendement — l’amendement 2 — qui aurait permis d’écrire noir sur blanc dans la Constitution de l’État qu’il n’existe pas de droit à l’avortement ? Ils leur ont parlé dans une langue qui leur était familière.

« Un des gros problèmes, c’est que les gens voyaient la question de l’avortement comme une question partisane », note Amber Duke, qui est directrice par intérim de l’American Civil Liberties Union du Kentucky. Selon cette logique, les démocrates sont largement pro-choix et les républicains, soi-disant « pro-vie » ou antiavortement.

Ces deux camps idéologiques sont encore plus clivés depuis que la Cour suprême — majoritairement conservatrice — a infirmé en juin dernier l’arrêt Roe c. Wade qui protégeait le droit à l’avortement dans tout le pays depuis 1973.

PHOTO FOURNIE PAR AMBER DUKE

Amber Duke, directrice par intérim de l’American Civil Liberties Union du Kentucky

« Ici, on disait aux gens que ce n’est pas une question politique, mais bien une question de soins de santé. On leur parlait de leur droit à la vie privée en insistant sur la nécessité de garder le gouvernement loin de leur vie privée », résume Amber Duke.

Or, cet argument anti-intervention de l’État est tout droit tiré du catéchisme du Tea Party. « Ce sont des concepts que les gens pouvaient comprendre », ajoute Mme Duke, qui est née et a grandi à Louisville, la métropole du Kentucky, et qui a été journaliste avant de se joindre à l’organisation de défense des droits civiques.

Pendant un an et demi, la coalition d’organisations qui a pris le nom de « Protégez l’accès au Kentucky » a travaillé d’arrache-pied pour porter son message aux quatre coins de l’État.

Elles ont travaillé sous la supervision de Rachel Sweet, qui avait coordonné la campagne pour défaire une proposition similaire du Kansas — un autre État conservateur — en août dernier. « On a eu des publicités à la télévision, à la radio, dans les journaux. On avait des bénévoles dans tout l’État qui ont fait du porte-à-porte et fait des appels téléphoniques. On encourageait les gens à ouvrir le dialogue sur la question dans leurs clubs de lecture, à l’église, à la synagogue. On a travaillé au niveau des relations humaines », énumère Mme Duke, jointe au téléphone mercredi après-midi.

Le tout a donné lieu à l’une des victoires les plus éclatantes de la soirée des élections de mi-mandat.

En fait, partout où la question de l’avortement s’est retrouvée sur le bulletin de vote le 8 novembre, le camp favorable au libre choix a remporté la mise. Au Montana, les électeurs ont bloqué une autre mesure qui aurait considéré comme criminels les travailleurs de la santé qui opèrent dans les cliniques d’avortement. Encore une fois, à 52 %.

Et au Vermont, au Michigan et en Californie, les électeurs ont décidé d’inscrire l’autonomie reproductive et, par conséquent, le droit à l’avortement dans la Constitution de leur État.

Toute une réplique au camp anti-choix qui en mène large au niveau des législatures d’État. Depuis l’invalidation de Roe c. Wade, 13 États ont interdit l’avortement et beaucoup d’autres en ont fortement limité l’accès. Le Kentucky est du lot.

Si elle se réjouit de la victoire aux urnes de mardi, Amber Duke note que la bataille est loin d’être terminée. En fait, elle ne fait que commencer. Dès la semaine prochaine, avec son équipe, elle sera devant la Cour suprême du Kentucky pour demander que les mesures antiavortement adoptées par l’État soient suspendues jusqu’à ce que le droit à l’avortement soit débattu sur le fond.

« Et après, on va se préparer pour les nouvelles mesures antiavortement que la législature d’État compte mettre de l’avant lorsqu’elle siégera de nouveau en janvier 2023 », dit-elle, avec un mélange de fatigue et de détermination dans la voix.