L’expression « Dans le cochon tout est bon » n’a jamais été aussi vraie que pendant le repas orchestré par Marie-Victorine Manoa et l’équipe du restaurant Mon lapin pour Montréal en lumière. Immersion protéinée dans l’univers gourmand d’une jeune chef française à suivre.

Tête, pied, sang, gras, couenne, longe, os et abats y sont tous passés de manière aussi originale que délicieuse et accessible durant ce repas tenu le lundi 26 février dernier. Originaire de Lyon, où son père tient un bouchon depuis plus de 45 ans, Marie-Victorine a les cochonnailles profondément ancrées dans son ADN. Cette maîtrise est nécessaire pour tremper de la couenne soufflée dans du chocolat… et que ce soit un régal !

  • Tout du cochon a été cuisiné. Au centre, le superbe boudin en brioche.

    PHOTO VICTOR DIAZ LAMICH, FOURNIE PAR MONTRÉAL EN LUMIÈRE

    Tout du cochon a été cuisiné. Au centre, le superbe boudin en brioche.

  • Les tranches de boudin brioché étaient servies avec pomme, crème d’oseille et raifort.

    PHOTO VICTOR DIAZ LAMICH, FOURNIE PAR MONTRÉAL EN LUMIÈRE

    Les tranches de boudin brioché étaient servies avec pomme, crème d’oseille et raifort.

  • À droite, des caillettes d’abats bien herbales surmontées de fines tranches d’oreille. À gauche, des endives à la moelle avec pommes de terre étoilées bien croustillantes.

    PHOTO VICTOR DIAZ LAMICH, FOURNIE PAR MONTRÉAL EN LUMIÈRE

    À droite, des caillettes d’abats bien herbales surmontées de fines tranches d’oreille. À gauche, des endives à la moelle avec pommes de terre étoilées bien croustillantes.

  • Cette galette de pieds croustillante, dont le collagène collait aux dents, cachait des topinambours.

    PHOTO VICTOR DIAZ LAMICH, FOURNIE PAR MONTRÉAL EN LUMIÈRE

    Cette galette de pieds croustillante, dont le collagène collait aux dents, cachait des topinambours.

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Comme tout enfant de restaurateur, elle en a passé des fins de soirées à dormir sur les chaises en rotin de la salle à manger, tandis que les adultes festoyaient à grands coups de canons du Beaujolais. Sans trop qu’elle s’en rende compte, cette cuisine bien typée de la « ville de la gastronomie » s’est infusée en elle.

Au départ, Marie-Victorine ne l’assumait pas. « Quand on a grandi dans un certain milieu, on se demande s’il nous correspond vraiment. Je n’avais pas vraiment de considération pour cette cuisine populaire, parce qu’elle faisait tellement partie de moi. »

  • Les vins du domaine Lapierre, dans le Beaujolais, accompagnaient le repas. Ils étaient servis par Mathieu Lapierre lui-même.

    PHOTO VICTOR DIAZ LAMICH, FOURNIE PAR MONTRÉAL EN LUMIÈRE

    Les vins du domaine Lapierre, dans le Beaujolais, accompagnaient le repas. Ils étaient servis par Mathieu Lapierre lui-même.

  • Marie-Victorine Manoa et Mathieu Lapierre se connaissent depuis toujours.

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    Marie-Victorine Manoa et Mathieu Lapierre se connaissent depuis toujours.

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Bien que sa mère ait été terrorisée à l’idée qu’elle se dirige en cuisine, la tête forte s’est inscrite à l’Institut Bocuse.

Aujourd’hui, ce n’est plus la restauration d’il y a 10 ans. Les choses ont beaucoup changé. Et même si, oui, c’est un métier très difficile, c’est aussi une vie de fête. On est là pour apporter de la joie et pour créer des écosystèmes heureux. Je ne voudrais pas faire autre chose.

Marie-Victorine Manoa

Après ses années lyonnaises, la diplômée s’est exilée de la cuisine de son enfance et a exploré d’autres manières de faire – assez diamétralement opposées merci ! – au Noma de René Redzepi, à Copenhague, chez Alex Atala (D.O.M), à São Paulo, puis chez Daniel Humm, à New York, au Eleven Madison Park.

C’est en apprenant que son papa, Jean-Louis Manoa, souhaitait vendre le bouchon familial qu’elle est rentrée chez elle. « Là, j’ai eu un énorme coup de foudre pour cette cuisine, pour ces repas qui font du bruit, qui durent longtemps, avec beaucoup de vin. Le Mercière, c’est une toute petite cuisine où on peut faire 150 couverts en une soirée à seulement trois personnes. Pendant l’année où j’y étais, on a un peu revu la carte et ça s’est tellement bien passé que mon père a décidé de ne pas vendre le resto. »

Sortir de l’ombre

PHOTO @SARAHJOCTEUR, TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @MARIEVICTORINEMANOA

En 2023, Marie-Victorine Manoa a créé un menu évènementiel pour Hermès.

La passation n’étant pas nécessairement dans les plans de Jean-Louis Manoa, sa fille a pris la direction de Paris pour commencer à se faire un nom. Elle a été (brièvement) candidate à la 10e saison de l’émission Top Chef, en 2019. Étrangement, peut-être, c’est pendant la COVID-19 qu’elle a été repérée.

Je faisais des repas clandestins chez moi. C’étaient de belles soirées avec plein de références de vin cool que des amis restaurateurs me refilaient. Puis, un soir, Alain Ducasse est venu manger !

Marie-Victorine Manoa

Le grand chef lui a alors parlé de son restaurant Aux Lyonnais, rare bouchon de la Ville Lumière, seul à détenir le label officiel. Il a offert le poste de chef à Marie-Victorine, qui n’avait pas encore 30 ans.

  • L’aspic revisité par Marie-Victorine Manoa

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @MARIEVICTORINEMANOA

    L’aspic revisité par Marie-Victorine Manoa

  • Petits poissons crus (jols) en marinade rapide, avec du fenouil, du kiwi et de l’oseille, qui fut au menu d’Aux Lyonnais.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @MARIEVICTORINEMANOA

    Petits poissons crus (jols) en marinade rapide, avec du fenouil, du kiwi et de l’oseille, qui fut au menu d’Aux Lyonnais.

  • Autre plat que les clients d’Aux Lyonnais ont pu déguster : asperges d’Argenteuil, petits poissons (jols) fermentés, morilles.

    PHOTO @SARAHJOCTEUR, TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @MARIEVICTORINEMANOA

    Autre plat que les clients d’Aux Lyonnais ont pu déguster : asperges d’Argenteuil, petits poissons (jols) fermentés, morilles.

  • De la couenne de porc trempée dans le cacao, avec baies séchées, hysope et fleur de sel

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @MARIEVICTORINEMANOA

    De la couenne de porc trempée dans le cacao, avec baies séchées, hysope et fleur de sel

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C’est une cuisine de bouchon lyonnais rafraîchie que la bosseuse a mise au menu pendant deux ans. « Je suis très instinctive. J’ai une phobie de la balance. Je peux être obsessive quand je cherche un goût particulier, mais sinon, mon approche est freestyle. Je préfère aussi former mes collègues à l’instinct plutôt qu’à la recette. “Assaisonnez au goût”, disait Alain Chapel. Il faut apprendre à observer, à goûter, à faire confiance à ses sens. »

Cette approche vaut également pour le choix de sa prochaine maison, projet du moment. Si les plus récents mois ont été occupés par des repas de type plus évènementiel, avec des clients triés sur le volet comme Hermès, Marie-Victorine est à la recherche d’un endroit où se poser, à Paris.

Son passage à Montréal – le deuxième depuis octobre, alors qu’elle avait participé au tournage d’un épisode de l’émission française Très très bon, où elle chronique depuis deux ans – arrivait à point nommé. Elle a découvert ici des environnements de travail beaucoup plus équilibrés et heureux que ceux qu’elle a l’habitude de fréquenter en Europe. Voilà un modèle que nous pouvons être fiers d’exporter !

Consultez le site de Montréal en lumière

De père en fille… à Montréal en lumière

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Louis Manoa (au centre), entouré d’Yves Rivoiron (à gauche) et de Gilles Maysonnave (à droite), il y a 20 ans exactement, à Montréal en lumière

Il y a 20 ans, Jean-Louis Manoa devait cuisiner au Pied de cochon. Les vins servis devaient être ceux de son bon ami Marcel Lapierre (mort en 2010), d’ailleurs parrain de Marie-Victorine. Mais après une dispute avec Martin Picard, le chef et son second ne se sont jamais présentés au repas !

Signe que les temps et les tempéraments changent, les journées passées par la jeune chef française au restaurant Mon lapin semblent n’avoir été que pur bonheur.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Jessica Noël, cochef et copropriétaire de Mon lapin, échange avec Marie-Victorine Manoa pendant la mise en place des deux repas Montréal en lumière.

« C’était une super belle expérience de travailler avec Marie-Victorine, nous a écrit Jessica Noël, cochef et copropriétaire du restaurant voté “Meilleur au Canada” en 2023, au lendemain du dernier repas servi pendant Montréal en lumière. Elle a une vision et des points de vue très pointus. Elle travaille tellement fort ! Sa cuisine est très belle, mais surtout très savoureuse, et son style s’harmonisait bien avec ce qu’on fait déjà à Mon lapin. On a appris plein de techniques. Tous les cuisiniers ont adoré travailler avec elle. »

Question de bien boucler la boucle, Mathieu Lapierre, fils de Marcel et habitué du Québec, était venu du Beaujolais pour servir les vins du domaine pendant les deux repas de Montréal en lumière qui se sont tenus le 25 et le 26 février.