« Une chance qu’il y a des places comme ça qui existent. »

Chantal Desrosiers est soulagée. Hier, elle a manqué la remise de denrées de sa banque alimentaire parce qu’elle avait des rendez-vous médicaux. Aujourd’hui, elle peut heureusement compter sur l’épicerie 3 paniers pour mettre la main sur des produits à bas prix.

Elle me montre le yogourt grec, les bananes et les tomates qu’elle a choisis.

« Je ne peux pas travailler, la vie est chère et il n’y a pas de supermarché, près de chez nous… Ce n’est pas facile. Ici, au moins, je peux acheter des produits de qualité ! En plus, c’est juste la deuxième fois que je viens et on m’a reconnue tout de suite. »

Chantal est l’une des nombreuses résidantes du quartier Centre-Sud tombées sous le charme de l’épicerie populaire. On la comprend : 3 paniers est un marché abordable ouvert à tous où l’on trouve viande, fruits et légumes, riz, pâtes, conserves, fromages, lait… Pareil comme dans n’importe quelle petite épicerie.

Ce qui distingue l’établissement des autres, c’est que tout produit a trois prix, et que c’est au client de décider lequel payer.

Il y a d’abord le prix solidaire, pour les budgets serrés. L’article est alors vendu à perte ou avec une minime marge de profit.

Ensuite, le prix suggéré, soit celui qui permet au commerce de survivre en tant qu’entreprise d’économie sociale.

Enfin, le prix « au suivant ». Dans ce cas, le client paie un peu plus cher pour contribuer à rendre le prix solidaire aussi accessible que possible.

La formule novatrice répond à un besoin maintes fois exprimé par les résidants : il fallait absolument une épicerie abordable dans le quartier. Non seulement était-ce un désert alimentaire, mais avec l’augmentation du coût de la vie, de plus en plus de gens peinaient à se nourrir.

« On entend beaucoup de commentaires à ce sujet depuis quelques mois », m’explique Marie-Claude Morin Ouellet, codirectrice générale de l’épicerie. « On a des demandes plus fréquentes d’aide et de dépannage… »

Si on ne peut que saluer la création d’un commerce veillant à combattre l’insécurité alimentaire, on peut quand même se demander à qui revient ultimement la responsabilité de gérer un enjeu si grave et pressant…

« L’insécurité alimentaire est un problème qui a plusieurs dimensions, mais dont la racine est la pauvreté, me répond Marie-Claude Morin Ouellet. Est-ce qu’on peut faire grand-chose contre la pauvreté, nous ? Non. Le rapport Au-delà de la faim, par les centres communautaires du Canada, fait plusieurs recommandations qu’on appuie totalement. En gros, il faut que les gouvernements offrent des programmes de soutien. »

Et pas que des programmes de soutien alimentaire, mais également d’accès au logement, m’explique la codirectrice. Quand la majorité de ta paie passe sur ton loyer, c’est dans l’épicerie que tu coupes. Même chose si tu jongles avec des frais de garderie trop élevés pour ton budget ou toute autre dépense incompressible.

En attendant que la lutte contre la pauvreté devienne une priorité politique, comme le dit Chantal Desrosiers ; « une chance qu’il y a des places comme [3 paniers] qui existent »…

Le modèle est-il viable, par contre ?

« C’est un essai ! S’il ne l’est pas, à long terme, on va s’ajuster », me répond la codirectrice générale de l’endroit.

L’épicerie n’a ouvert ses portes que le 25 janvier dernier. Il est un peu tôt pour dresser un bilan. Pour l’instant, grâce aux subventions, à l’aide de travailleurs bénévoles (l’équipe en cherche toujours, si jamais !), puis au bon équilibre entre les clients qui bénéficient du prix solidaire et ceux qui choisissent le plus élevé, l’expérience est prometteuse.

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J’observe les rayons.

La qualité de ce qu’on y trouve m’impressionne. Plusieurs produits locaux attirent notamment mon attention — je repartirai assurément avec ces fraises du Québec surgelées.

Kim Cinq-Mars, codirectrice générale du commerce, m’explique que les suggestions des clients influencent beaucoup ce qu’on trouve sur les tablettes. À la fois pour les satisfaire et pour éviter le gaspillage. On a récemment ajouté de la macédoine congelée, des céréales et plusieurs types de lait, par exemple. On offre également des œufs à l’unité, ce qui est rare en épicerie, mais qui peut s’avérer très pratique pour une personne seule composant avec un budget limité…

Puis, au début d’avril, c’est tout un nouveau volet qui sera lancé aux 3 paniers. Deux fois par semaine, on servira une centaine de repas gratuits lors de dîners communautaires.

Mais où est-ce que les gens vont s’installer ?

Marie-Claude Morin Ouellet me fait remarquer l’ingénieux design du lieu : aux murs sont accrochées de jolies chaises pliantes en bois. Les présentoirs de produits, eux, sont dotés de tabourets rétractables. En une minute, on peut les transformer en grandes tables de réfectoire. Brillant !

L’autre nouveauté qui sera déployée dès avril est la vente de mets préparés, conçus à même la cuisine de l’épicerie (local qui accueille déjà des groupes de cuisine collective et des étudiants en francisation qui apprennent notre langue tout en popotant).

On veut s’adapter à notre environnement. Il y a plusieurs résidences pour aînés dans le coin et on croit que des repas préparés pourraient donner un bon coup de main aux personnes qui y vivent.

Marie-Claude Morin Ouellet

L’épicerie 3 paniers se veut flexible, pensée pour son monde, utile…

« On est situé dans un quartier qui s’embourgeoise beaucoup. Pour les clients mieux nantis, acheter ici, c’est une façon de créer une chaîne de solidarité et de contribuer au bien-être de la communauté… On veut créer un espace où les gens se rencontrent, où tout le monde se sent à sa place. »

Marie-Claude Morin Ouellet prend une pause et sourit.

« J’ai un attachement profond au quartier. Je crois en ce qu’on fait. »

Moi aussi, j’y crois. Après avoir vu les yeux des clientes, difficile de faire autrement, en fait.

Consultez le site de l’épicerie 3 paniers Consultez le rapport Au-delà de la faim