Il y a 20 ans, Pedro Perez revenait d’un voyage en Inde avec des souvenirs plein la tête… et des ennuis plein les entrailles. Pour calmer une infection récurrente, on lui prescrit des antibiotiques régulièrement, ce qui lui occasionne d’autres soucis de santé. À bout, il finit par suivre les conseils d’un collègue ukrainien qui lui suggère de manger… de la choucroute ! Surprise : sa digestion s’améliore et son niveau d’énergie aussi.

Cette découverte sera l’amorce d’une quête personnelle qui se poursuit aujourd’hui à travers l’entreprise de lactofermentation Tout cru ! « Bien sûr, c’est bon pour la santé, mais j’ai développé une passion pour le goût acidulé des aliments fermentés. » Il partage cette affinité gustative avec de plus en plus d’adeptes attirés par les vertus de ces aliments, puis conquis par leurs saveurs.

Nourrir son microbiote

  • En huit ans, la production de Tout cru ! est passée de 4000 kg de légumes transformés à 100 000 kg par année, une croissance qui s’exprime particulièrement ces trois dernières années.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    En huit ans, la production de Tout cru ! est passée de 4000 kg de légumes transformés à 100 000 kg par année, une croissance qui s’exprime particulièrement ces trois dernières années.

  • Pedro Perez a développé une passion pour le goût acidulé des aliments fermentés.

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    Pedro Perez a développé une passion pour le goût acidulé des aliments fermentés.

  • Kimchi en préparation chez Tout cru !

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    Kimchi en préparation chez Tout cru !

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À l’époque où Pedro Perez a commencé à s’intéresser à la fermentation, le mot « microbiote » ne faisait pas partie du vocabulaire populaire. On en sait maintenant davantage sur cette flore que l’on considère comme un organe en soi et qui est composée de milliards de bactéries qui protègent des infections et participent à la digestion.

Lorsque le microbiote est compromis par de mauvaises habitudes de vie, le stress ou les antibiotiques, les intestins deviennent un terrain propice pour le développement de bactéries indésirables. Pour repeupler et maintenir une communauté microbienne saine et vigoureuse, il faut semer.

« On ne connaît pas encore la signature bactérienne parfaite, mais on sait que les gens qui vivent en santé longtemps sont ceux dont la flore intestinale est riche en bonnes bactéries. Et l’élément qui a le plus d’impact sur la diversité du microbiote, avant même une alimentation variée, est la consommation d’aliments fermentés », pointe Andréanne Martin, bachelière en nutrition et spécialiste de la santé digestive.

Le processus de fermentation entraîne en effet la multiplication de bonnes bactéries qui viennent prêter main-forte à celles déjà présentes dans le tube digestif. Il favorise par ailleurs une meilleure absorption des nutriments présents dans les aliments qui seront aussi plus digestibles, car en partie décomposés par les micro-organismes, explique Andréanne Martin. « La plupart des aliments fermentés sont des probiotiques qui comportent une grande diversité de bonnes bactéries. Ça ne se substitue pas à une alimentation diversifiée, mais c’est un beau bonus. »

Multiplier les goûts et l’infiniment petit

PHOTO MATHIEU DUPUIS, FOURNIE PAR RÉVOLUTION FERMENTATION

Les produits fermentés sont légion !

Fromage frais, pain au levain, kimchi, miso, kombucha, kéfir, tempeh, vinaigre, saucisson artisanal… La liste des produits de la fermentation est longue, mais repose sur le même mécanisme : la transformation et la décomposition d’aliments par de minuscules organismes vivants – des bactéries, des moisissures et des levures – qui transforment les goûts et textures.

Dans des conditions adéquates, ces agents de fermentation se nourrissent de glucides pour créer un milieu acide, favorable à leur prolifération, au détriment de concurrents moins sympathiques. « À l’origine, la fermentation était utilisée pour s’assurer de conserver les aliments. Toutes les cultures qui se sont sédentarisées ont développé leurs recettes de fermentation qui résultent souvent d’un accident de parcours, comme une tasse de thé sucré laissée sur le bord d’une fenêtre et qui se transforme en kombucha », explique Jean-Luc Henry, directeur général de Révolution fermentation, entreprise cofondée avec David Côté et Sébastien Bureau, aussi créateurs de Rise Kombucha.

PHOTO FOURNIE PAR RÉVOLUTION FERMENTATION

Jean-Luc Henry, directeur général de Révolution fermentation

On a depuis développé des agents et méthodes de conservation qui garantissent la préservation et l’innocuité des aliments, mais nous privent des vertus de la fermentation.

La chaleur utilisée pour stériliser ou pasteuriser tue les agents pathogènes, mais les bonnes bactéries aussi du même coup.

Un fromage fait de lait pasteurisé est donc amputé d’une bonne partie de ses probiotiques.

La fermentation est un processus artisanal qui n’implique à la base aucune cuisson ni aucun agent de conservation. Un pot de cornichons fermentés n’est pas une marinade. Pour s’y retrouver, il faut s’attarder aux étiquettes. « Un truc : les légumes lactofermentés ne survivent pas sur tablette et sont donc placés dans les rayons réfrigérés », indique Jean-Luc Henry.

Une façon de cuisiner

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU NOMA

La fermentation, c’est aussi gastronomique, comme le prouve ce plat signé Noma : citrouille et sauce d’orge et de jasmin fermentés.

Les bénéfices sur la santé des aliments fermentés ont tendance à éclipser leur côté gourmand. Classé quatre fois meilleur restaurant au monde, le Noma de Copenhague a lancé son propre guide de la fermentation en 2018. Son chef, René Redzepi, y affirme que les véritables piliers de sa cuisine ne sont pas les aliments sauvages et la cueillette, auxquels on l’associe, mais les fermentations qui sont souvent « le croisement idéal entre le glutamate, le jus de citron, le sucre et le sel ». Ils sont des exhausteurs de goût, raison pour laquelle il en introduit dans chacun de ses plats, de l’entrée au dessert.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Les fameuses frites de pommes de terre fermentées du Poincaré

À Montréal, Poincaré Chinatown est l’un des établissements qui en incluent généreusement au menu. « Les légumes lactofermentés ont un côté acidulé plus subtil que celui des marinades. Ils rehaussent n’importe quelles salades, soupes ou sandwichs et équilibrent un plat riche ou gras, mais il ne faut pas sous-estimer le plaisir qu’ils procurent en simple snack, directement sortis du pot », souligne Francis Melançon, copropriétaire de ce restaurant qui propose entre autres des frites de pommes de terre fermentées pour leur caractère unique. Au-delà des légumes fermentés, il y a le miso qui peut être utilisé dans une vinaigrette ou comme base de bouillon, le kéfir, savoureux dans un smoothie, le tempeh apprêté dans un sauté… Il faut expérimenter.

Qu’on les prenne sous l’angle épicurien ou rationnel, les arguments en faveur des aliments fermentés mènent à une conclusion : pourquoi s’en passer ? « Dans ces petites bactéries, il y a une vie parallèle qui nous reconnecte à la nature, estime Jean-Luc Henry. Il y a quelque chose de fascinant dans le fait que des micro-organismes arrivent à cuisiner de fabuleux aliments, bons au goût et pour nous. »

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