Pâte, tomate (ou pas !), fromage : cette triade si essentielle peut paraître simple, mais, au fil des siècles, elle s’est présentée sous les formes les plus diverses qui soient. Depuis quelques années, on trouve à Montréal une variété grandissante de styles de pizzas, qu’ils soient de Rome, de Detroit ou de New Haven. À vos carnets : voici un guide des différentes familles de pizzas que l’on peut dévorer dans la métropole.

Le purisme n’est plus à la mode dans le monde de la pizza, même chez certains iconoclastes d’Italie. Il n’y a qu’à regarder ce que font Gabriele Bonci à Rome, avec ses excentriques pizzas al taglio, et Franco Pepe, à une heure de Naples, avec sa margherita inversée, la sbagliata.

À Montréal, les pizzaioles font de plus en plus à leur tête, mariant les différents styles. « Tant que c’est bon ! », diraient-ils. Du reste, c’est ainsi que la majorité des pizzas sont nées, en passant d’une culture à une autre et en s’hybridant doucement en cours de route.

Ce dossier se limite aux pizzerias de Montréal. Certes, il y en a d’excellentes à Laval (Gigi’s, Bottega, etc.), à Saint-Adolphe-d’Howard (Lupi), à Québec (Nina), à Notre-Dame-du-Portage (Pizzeria des Battures), à Austin (Parcelles), à Piedmont (Merci la vie) et ailleurs au Québec.

Il y a aussi de très bonnes pizzas de chaînes. On n’a qu’à penser à No. 900, qui a des succursales jusqu’à Lyon et dont le chef, Mirko D’Agata, a remporté de nombreux prix – dont le plus récent une troisième place dans la catégorie pizza a due lors du Championnat mondial de la pizza qui se déroulait à la mi-avril à Parme.

Mais il fallait se limiter, déjà qu’en m’en tenant à l’univers de la pizza montréalaise, j’ai mis le doigt dans un engrenage d’une complexité que je ne soupçonnais pas, avec ses mélanges de farines, ses taux d’hydratation de pâte, ses temps de fermentation, ses températures de cuisson, ses types de fromages, etc.

Ouf ! La pizza déchaîne les passions. Mais à vrai dire, la seule vérité, aujourd’hui – exception faite de la « vraie » pizza napolitaine certifiée –, est celle du goût. Quand c’est bon, c’est bon !

Napolitaine

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Une napolitaine traditionnelle chez Michel-Ange Pizzeria.

Commençons par la plus réputée et codifiée de toutes, celle qui vient de Naples. Avant l’arrivée des tomates à la fin du XVIIIe siècle, on faisait déjà la mastunicola, communément garnie de lard, d’origan et de basilic (le pain plat garni existait déjà depuis des millénaires, bien sûr).

Puis la fameuse margherita est née et elle demeure pour bien des gens LA référence en matière de pizza. Une « vraie » napolitaine cuit en 90 secondes dans un four (bois, gaz, électricité) chauffé à 900 degrés Fahrenheit. Elle a un diamètre de 35 cm (13,8 pouces) et un bord surélevé, gonflé : le célèbre cornicione. Elle contient peu de garnitures : tomates San Marzano ou roma, huile d’olive extravierge, fromages fior di latte ou buffala et basilic. D’ailleurs, seules les pizzas marinara, margherita et mastunicola (qui fait un retour) ont droit au sceau de l’Associazione Verace Pizza Napoletana, née en 1984. « Notre » cher Mirko D’Agata, de Pizzeria No. 900, est d’ailleurs chef de la délégation canadienne.

Après, il y a aussi la néonapolitaine, une version plus moderne qui se fout des certifications et qui permet une licence créative élargie. Elle peut être cuite dans le four de son choix, chauffée à une température plus basse pendant plus longtemps, avoir un centre moins mou. Chose certaine, la pizza napolitaine est meilleure lorsqu’elle est mangée tout droit sortie du four et ne se réchauffe pas très bien.

Al taglio (ou in teglia)

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Al taglio pepperoni cup n crisp, burrata et miel épicé de Segreta

Elle a longtemps vécu dans l’ombre de la sacro-sainte napolitaine, mais la pizza à la coupe romaine s’est bien rattrapée, du moins à Montréal, où elle est maintenant omniprésente. Elle a même sa petite chaîne, Morso, également pilotée par Mirko D’Agata au four. La cuisson d’une pizza al taglio se fait dans une tôle métallique rectangulaire en acier ou en fonte.

À Rome, il y a aussi celles qui se cuisent directement sur la pierre, comme l’al metro. La pizzeria qui en faisait à Montréal, FCO di Fiumicino, a fermé et a été remplacée par une succursale de Morso. L’alla pala en est une autre, que l’on peut commander au restaurant Elena. La Ville éternelle a aussi d’autres types de pizzas, comme la scrocchiarella, sur croûte très craquante, et la tonda, une ronde également bien croustillante.

Tonda

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Tonda hybride de G Pizzas

Giuseppe Sacchetti aimerait bien faire de la tonda romana « pure », avec une pâte très fine, craquante et sans rebord (cornicione), comme on en trouve à la courue pizzeria 180g à Rome ou à l’excellente Clementina, où j’ai eu le grand bonheur de manger l’automne dernier, à Fiumicino. Mais le chef n’est pas sûr que sa clientèle soit encore prête à le suivre. Aussi sa tonda – « le simple nom confondait les clients, alors je l’ai juste rebaptisée « pizza ronde » ! » – est-elle un peu plus épaisse, avec une croûte plus ou moins gonflée, et la sauce qui se rend presque jusqu’au bord. Mais chose certaine, elle croustille, contrairement à la napolitaine, et c’est la seule en son genre à Montréal.

New York, Brooklyn, New Jersey, New Haven

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Classique new-yorkaise au pepperoni de Brook, à Verdun

Ce sont ces styles américains de pizzas qui ont vu la plus forte croissance à Montréal au cours des dernières années. La new-yorkaise a une croûte mince, mais craquante, donc pas aussi souple et moelleuse que la napolitaine. Sa pâte cuit à une température se situant autour de 500-550 ºF. Elle est souvent très grande (16-18 pouces) et servie à la pointe. Ses origines remontent au début du XXe siècle.

Y a-t-il une différence entre la pizza de Manhattan, celle de Brooklyn et celle de l’État voisin, le New Jersey ? Absolument, mais elles découlent à peu près toutes de la Neapolitan-American pizza de Gennaro Lombardi, qui avait commencé à vendre ses « pies » à cinq sous dans son épicerie de la rue Spring, en 1905. Les pizzas new-yorkaises et leurs descendantes sont typiquement faites avec une mozzarella sèche et plus grasse plutôt qu’avec du fromage frais. Mais ça n’empêchera pas les petits malins de L’Industrie (Brooklyn et Manhattan) de poser une grosse boule de burrata sur leur produit signature.

La New Haven est probablement celle qui se différencie le plus, avec son allure rustique, sa croûte très mince et très grillée. Pour l’instant, à Montréal, on la trouve uniquement chez Frankies, qui n’a même pas pignon sur rue.

Sicilienne

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Sicilienne de Welldun, à Verdun

La vraie de vraie pizza sicilienne s’appelle sfincione. Son nom serait dérivé du mot « éponge ». En traversant l’Atlantique jusqu’à New York (il semble que Spring Street Pizza, dans Nolita, soit aujourd’hui la référence), il y a eu quelques variations à ce spongieux délice. Chez Welldun, la sicilienne s’inspire davantage de l’américaine. Sa texture est plus aérienne et son dessous bien grillé pour faire « crounch » ! Son fromage n’est pas du caciocavallo comme pour la sfincione, mais de la mozzarella avec du parmesan.

Detroit

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Detroit style de Welldun, à Verdun

Particulièrement gourmande, la pizza née dans la Motor City est rectangulaire. Sa pâte est épaisse et moelleuse et ses rebords, bien croustillants de fromage de type « brick » gratiné. La garniture est généreuse. La « Detroit » est une descendante de la sicilienne, car la recette de pâte proviendrait de la mère (sicilienne) d’Anna, femme de Gus Guerra, propriétaire du bar de quartier Buddy’s Rendezvous qui l’a d’abord mise au menu. Selon la légende, les premiers moules auraient été fournis par un ami de Gus qui travaillait dans l’industrie automobile, où l’on utilisait ces contenants en acier pour déposer des pièces. Aujourd’hui, les coins bien garnis de dentelle de fromage sont toujours aussi courus !

Pan pizza

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La pan pizza aux champignons de Danny St-Pierre, à Pan Américan Pizza

En principe, toute pizza cuite dans un moule est une pan pizza. Mais ce qui nous vient en tête lorsqu’on pense à cette catégorie est avant tout la tarte ronde et épaisse de Pizza Hut, chaîne bien connue née au Kansas. Pour simplifier, on peut dire que la pan pizza est une création du Midwest des États-Unis. C’est du moins l’inspiration de Danny St-Pierre à Pan Américan Pizza, qui cite également la légendaire Pequod’s, à Chicago, merveille de décadence bien haute, ronde, ceinturée d’une croûte de fromage caramélisée.

Grand-mère

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La Grandma de Welldun, à Verdun

Je ne connaissais pas cette pizza avant que Welldun, à Verdun, la mette à son menu. Le lieu de naissance de la « Grandma », cuite dans une grande plaque à biscuits, est le restaurant Umberto’s, à Hyde Park, à Long Island. Elle serait inspirée des grands-mères italiennes qui, faute de four adapté à la maison, préparaient leurs pizzas ainsi. Le résultat est plus mince qu’une sicilienne et la pâte contient beaucoup plus d’huile d’olive. « Elle est presque frite », nous révèle Danny Perez, un autre de ces érudits montréalais de la pizza qui élèvent nos connaissances de la chose. Côté garnitures, on peut garder ça simple ou s’éclater à souhait.