En tant que dirigeants des principales salles de nouvelles du Québec, c’est avec une grande inquiétude que nous avons pris connaissance du projet de loi 57 sur la sécurité des élus, déposé récemment par le gouvernement du Québec.

Ce projet de loi vise un objectif fort louable : protéger les élus provinciaux et municipaux contre les menaces, le harcèlement et l’intimidation. Cependant, pour y arriver, le gouvernement propose à l’Assemblée nationale d’adopter des mesures qui compromettent la liberté d’expression des citoyens et des médias.

La liberté d’expression est le fondement de nos institutions démocratiques. Les élus sont choisis par les électeurs. Ils les représentent et sont redevables envers eux.

Les citoyens ont donc le droit de discuter des décisions prises par leurs élus, voire de les critiquer sur la place publique, à tort ou à raison.

Ce droit est reconnu par les chartes des droits et libertés, tant québécoise que canadienne, ainsi que par la Cour suprême.

Aux yeux des élus, ces critiques peuvent parfois sembler mal fondées ou injustes. Elles peuvent même être perçues comme insistantes ou prendre la forme de campagnes d’opposition farouches organisées par des groupes militants. À ce titre, elles peuvent être dérangeantes pour les élus qui se consacrent corps et âme au service de l’État. Elles n’en demeurent pas moins légitimes et essentielles à l’existence d’une démocratie saine.

Or, dans sa forme actuelle, le projet de loi 57 confère aux tribunaux, sur demande d’un élu ou par l’entremise du Directeur général des élections ou d’une municipalité, le pouvoir d’ordonner à un citoyen ou à un média de cesser de diffuser des propos « qui entravent indûment l’exercice de ses fonctions ou portent atteinte à son droit à la vie privée ».

La notion d’entrave indue à l’exercice des fonctions n’est pas définie. On devine donc à quel point elle ouvre la porte à une interprétation large qui limiterait la liberté d’expression des citoyens et des médias sur des enjeux d’intérêt public. On devine aussi la tentation que certains élus pourraient avoir de s’en servir pour bâillonner ceux qui les contestent.

Il est impératif que ce projet de loi soit davantage balisé et que des définitions robustes et en accord avec nos chartes y soient insérées.

Quant au concept d’atteinte à la vie privée, il va à l’encontre d’un principe bien reconnu par les tribunaux selon lequel la sphère de vie privée d’un élu est moins large que celle d’un citoyen dit « ordinaire ». Il s’agirait donc d’un recul marqué pour la liberté d’expression.

Nous n’avons qu’à penser à l’exemple récent des gestes faits par la municipalité de Sainte-Pétronille, qui tentait de museler un média et des résidants, pour se convaincre du danger que représente le projet de loi 57. Celui-ci faciliterait la vie des élus et des villes qui souhaiteraient intimider des individus et des organisations qui n’auraient pas les moyens de se défendre. La simple existence de ce nouvel outil législatif risquerait fort d’avoir un effet refroidissant sur la prise de parole citoyenne et médiatique.

On peut comprendre que les citoyens et les médias soient parfois considérés comme des sources d’irritation ou des empêcheurs de tourner en rond par les élus, qui préféreraient parfois ne pas avoir à répondre à des questions plus difficiles ou rendre des comptes concernant leurs décisions. Mais dans plusieurs municipalités, ils constituent les seuls contrepoids aux conseils municipaux, et jouent ainsi un rôle démocratique essentiel. Il serait très tentant d’utiliser cette nouvelle loi pour les faire taire.

En tant que représentants des médias, nous invitons donc le gouvernement à amender le projet de loi 57 afin que son contenu soit conforme aux valeurs de notre société démocratique et respecte la liberté d’expression. La santé et la vigueur de nos débats politiques en dépendent.

*Ont signé conjointement : Basem Boshra, premier rédacteur en chef, CBC News, Quebec ; Xavier Brassard-Bédard, directeur général, TVA Nouvelles/LCN ; Dany Doucet, vice-président information médias, QMI ; Luce Julien, directrice générale de l’information, Société Radio-Canada ; Éric Trottier, directeur, Cogeco Nouvelles ; Mathieu Turbide, vice-président contenus numériques, Québecor (QUB radio, 24 heures, Agence QMI) ; Frédéric Vanasse, directeur général et éditeur, La Presse Canadienne

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